Réflexions sur l’état d’exception à la lumière de trois ouvrages allemands : A.-B. Kaiser, Ausnahmeverfassungsrecht (2020), J. Finke, Krisen. Ein Erklärungsversuch dynamischer Rechtsentwicklungen in Krisenzeiten (2020), T. Barczak, Der nervöse Staat (2020)

Recension de A.-B. Kaiser, Ausnahmeverfassungsrecht, Tübingen, Mohr Siebeck, 2020, 431 p ; J. Finke, Ein Erklärungsversuch dynamischer Rechtsentwicklungen in Krisenzeiten, Tübingen, Mohr Siebeck, 2020, 217 p ; T. Barczak, Der nervöse Staat, Tübingen, Mohr Siebeck, 2020, 859 p.

Review of A.-B. KaiserAusnahmeverfassungsrecht, Tübingen, Mohr Siebeck, 2020, 431 p ; J. FinkeEin Erklärungsversuch dynamischer Rechtsentwicklungen in Krisenzeiten, Tübingen, Mohr Siebeck, 2020, 217 p ; T. BarczakDer nervöse Staat, Tübingen, Mohr Siebeck, 2020, 859 p.

S

i l’épreuve épidémique Covid-19 a enrichi la discussion d’un volet sanitaire, les débats relatifs aux états d’« urgence », d’« exception » et autres « crises » n’ont rien de nouveau. En France, la mise en œuvre de l’état d’urgence, à la suite des attentats de 2015 et sans discontinuer jusqu’en 2017, avait déjà ravivé les discussions – et les protestations[1]. Rien de tel en Allemagne, où il est régulièrement relevé que les dispositifs prévus par la Loi fondamentale (Constitution de 1949) demeurent, pour l’essentiel, inusités. Cela n’enlève cependant rien à l’intérêt du regard porté outre-Rhin, l’histoire intellectuelle et constitutionnelle allemande à ce sujet étant particulièrement riche[2]. Trois thèses d’habilitation publiées en 2020[3] apportent en outre de nouveaux éléments. Dès avant la crise sanitaire et surtout depuis la frénésie sécuritaire mue par les attentats du 11 septembre 2001, elles soulignent l’actualité du sujet. Y sont respectivement envisagées les « crises » – titre de la thèse de Jasper Finke, désormais expert juridique au ministère fédéral de la Justice[4] –, le « droit constitutionnel de l’exception » – titre de l’ouvrage d’Anna-Bettina Kaiser[5], désormais professeure de droit public à l’Université Humboldt de Berlin –, et l’« état d’exception », au cœur de l’étude de « l’État nerveux », proposée par Tristan Barczak[6], désormais professeur de droit public à l’Université de Passau.

Tous abordent, plus ou moins directement, les problématiques intrinsèquement associées au thème de l’état d’exception[7]. S’agissant des problématiques de droit public, il reste nécessaire de pointer les entorses au processus démocratique (séparation des pouvoirs, règles de compétences et de procédure) et aux droits fondamentaux, même lorsqu’elles se présentent comme le pendant du renforcement des capacités d’action étatique, quand les moyens « normaux » ne suffisent plus. Au niveau de la théorie du droit, l’étude de ce qui est « hors de prise » (ex capere) emporte des questionnements sur ses rapports à la normativité (hors de prise et imprévisible par nature, l’état d’exception est-il hors du droit ?) et à la « normalité » (le rapport dialectique règle/exception commande-t-il systématiquement un retour à une situation « normale » ?). L’un des intérêts des trois ouvrages tient à ce qu’ils confrontent ces questions classiques à l’aune des évolutions des démocraties contemporaines : États de droit constitutionnels cherchant des réponses dans le droit d’une part, États s’efforçant d’agir face à des crises durables, quitte à brouiller la frontière entre prévention et réaction, entre exception et normalité, d’autre part. À cet effet, tous trois font appel à l’histoire et au droit comparé, recourent parfois à des arguments des autres sciences sociales, mais proposent avant tout un éclairage juridique. Portés par des points de vue argumentés et critiques, tous trois avancent enfin de véritables thèses, voire de véritables propositions.

Après une première présentation de ces trois études (I), il s’agira d’analyser leurs lignes de croisement, notamment afin de mettre en lumière les enseignements que le lecteur français pourra acquérir sur l’état d’exception, à la lecture de ces ouvrages allemands (II). On proposera enfin une lecture plus approfondie de certaines de leurs thèses spécifiques, qui peuvent se lire comme autant de pistes de réflexion pour le droit français (III).

I. Des titres-projets

Les titres choisis par les trois auteurs allemands appelaient préalablement un effort de précision et de délimitation conceptuelle, les mots « crise » (Krise), « (état d’)exception » (Ausnahme(zustand)), et « (état d’)urgence » (Notstand) tendant à se croiser. S’ils ne manquent pas de s’y prêter, tous trois relèvent la difficulté de l’exercice, tant les termes sont évolutifs, en fonction de la nature des périls comme des mesures envisagées pour y répondre ; tant il est, de surcroît, insuffisant de s’arrêter aux seules normes identifiées comme régissant des états d’exception ; tant, enfin, certains concepts ou formulations générales peuvent ajouter à la confusion – que l’on pense au recours au lexique de la police administrative lorsqu’il s’agit d’envisager l’urgence (prévention de l’ordre public) ou au terme de « crise », si difficile à délimiter. Le choix des mots mis en avant par les trois auteurs offre dès lors, d’emblée, une indication sur le choix des orientations proposées.

A. Crises

N’était-il pas précisément osé d’intituler son ouvrage sobrement « Crises » ? Le fait que Krisen de Jasper Finke soit le fruit d’un travail achevé en 2015 n’est pas sans résonner avec l’actualité allemande d’alors, dominée par ladite « crise des migrants ». Le projet est évidemment bien plus vaste – même si la monographie demeure relativement brève (200 pages, dont 12 pages de bibliographie). « Menaces et, ce faisant, situations d’urgence ou d’exception » (p. 139) : la définition des crises se veut résolument large, afin d’en décrire le « processus » dynamique et son effet « transformatif » (p. 81 et s.) sur le droit, par-delà l’existence ou l’absence de régime juridique spécial prévu à cet effet (« Nicht-Notstandsnormen », p. 99 et s.).

Le propos ne tient en définitive pas tant dans une réflexion sur les régimes de crise : il vise principalement à étudier les effets des crises sur le droit (p. 2), soit leur influence sur la manière dont les normes juridiques sont appliquées, discutées et interprétées (p. 112, 139, 187). C’est ce qui justifie l’attention spécifique accordée au phénomène de mutation constitutionnelle (« Verfassungswandel », p. 141). C’est aussi ce qui explique l’approche adoptée, appuyée sur une littérature allemande et anglo-américaine, et illustrée par des exemples issus du droit comparé et de l’histoire constitutionnelle. La première partie (A) expose ainsi un « état des lieux », présentant la démarche adoptée à l’appui des « modèles historiques » de la République romaine et de la « tradition juridique anglaise » de la loi martiale. Les deux parties suivantes étudient l’effet transformatif des crises sur le droit (B et C). Y sont mobilisés des exemples américains (discussions autour des compétences de crise du Président des États-Unis[8] ; impact de la crise économique mondiale de 1929 sur l’évolution du droit constitutionnel), allemands (autour de l’article 48 al. 2 de la Constitution de Weimar et de la Loi sur la sécurité aérienne de 2005[9]) et européen (crise de l’euro). La quatrième et dernière partie (D) marque une rupture dans cette démonstration illustrée, et propose une « définition alternative » de la crise, appuyée sur une réflexion plus théorique, structurée autour des « attentes dans le droit » (Erwartungen im Recht) : partant de la fonction stabilisatrice du droit (Luhmann) et, a contrario, des « attentes déçues » générées par les crises, Jasper Finke complète ainsi son plaidoyer pour une compréhension dynamique du phénomène de crise. Partant, outre l’intérêt de la perspective offerte sur les différentes périodes et régimes étudiés, l’ouvrage est de nature à alimenter les réflexions sur les rapports entre faits et normes, exception/norme, régime de crise/régime « normal ».

S’ils s’accordent sur l’étroite parenté existant entre les concepts de crise et d’état d’exception, Anna-Bettina Kaiser et Tristan Barczak renoncent quant à eux à articuler leur démarche autour du premier, jugé trop large, trop peu juridique, n’indiquant rien des conséquences juridiques qui peuvent en découler (Kaiser, p. 68, Barczak, p. 100-101)[10]. Le concept d’« état d’exception » est, à l’inverse, plus riche de perspectives, à la fois concept historique fondamental – et, à ce titre, trouvant pleinement sa place dans le grand dictionnaire de Koselleck[11] – et concept juridique. Les deux auteurs s’arrêtent au préalable longuement sur l’importance de la dialectique règle/exception (Ausnahme), y compris, précisément, pour le fonctionnement des systèmes juridiques. Ils se rejoignent également pour souligner l’importance de l’identification des contours juridiques de l’état d’exception, afin de pouvoir envisager un retour à une situation normale.

La perspective est toutefois différemment accentuée, centrée sur le droit constitutionnel de l’exception pour l’une, sur la normalité/normativité ordinaire de sociétés contemporaines régies par une exception devenue règle, pour l’autre.

B. Droit constitutionnel de l’exception

Le projet d’Anna-Bettina Kaiser tient dans son titre : le « droit constitutionnel d’exception » (Ausnahmeverfassungsrecht) est en effet défini comme un concept « nouveau », « terme générique » (Oberbegriff) incluant « l’ensemble des règles de droit constitutionnel applicables à la gestion des situations de crise » (p. 74-76). Le seul fait de présenter une étude systématique du droit allemand en vigueur, incluant les normes constitutionnelles, leur mise en œuvre et interprétation, était déjà un programme remarquable ; l’inscrire dans la méthode « droit en contexte » (Recht im Kontext)[12] et alimenter le travail par maintes perspectives comparées a de toute évidence contribué à la qualité de la monographie, largement saluée en Allemagne[13]. Moins interdisciplinaire que comparée, l’orientation choisie participe pleinement au cheminement mené : c’est, en effet, en s’arrêtant sur le « dialogue des constitutions[14] » dans le temps et l’espace allemand (du xixe siècle à Weimar, incluant des références aux constitutions des Länder), comme sur certains exemples étrangers (not. France, Belgique, Royaume-Uni, États-Unis, sans compter les références aux droits européens), que la « spécificité du chemin allemand » (p. 127, 184) peut être mise en lumière. La thèse défendue s’appuie en outre sur un appareil scientifique considérable (47 pages de bibliographie, documentant les 364 pages de l’ouvrage), sous-tendant la quête d’une « restitu[tion de] plus de deux cent années de discours » sur les rapports entre droit et état d’exception (p. 89).

Ces différents éléments structurent les deux premières parties de l’ouvrage, insistant sur les avantages du modèle d’« inclusion » dans le droit de l’état d’exception (I. « Introduction » ; II. « Théorie et Histoire du droit constitutionnel de l’exception »). La thèse centrale est cependant contenue dans la troisième et dernière partie (III. « Nécessité fait loi : la dogmatique du droit constitutionnel de l’exception »). Anna-Bettina Kaiser s’y emploie en effet à systématiser la « dogmatique[15] » de ce droit constitutionnel spécifique qu’elle s’emploie à spécifier. Plus précisément, c’est le modèle allemand qui se trouve au cœur de l’analyse : un modèle comprenant une pluralité de normes et intégrant la jurisprudence y afférente, notamment rendue par la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe. Le choix de confronter ce modèle au « test révélateur » que sont les droits fondamentaux est parfaitement éclairant (« Der Lackmustest », p. 207-330[16]) : les droits fondamentaux sont, de fait, à la fois l’une des questions centrales de l’état d’exception et l’un des éléments cardinaux du droit constitutionnel allemand. Avant d’y revenir plus loin, on saluera ici la perspective critique qui rythme la démonstration, interrogeant la capacité de résistance des droits fondamentaux face à l’épreuve des états d’exception.

C. État nerveux

S’il n’est pas immédiatement révélateur, le titre de la somme proposée par Tristan Barczak porte, quant à lui, une dimension d’emblée critique : pointer le caractère « nerveux » de l’État ne revient-il pas en souligner des dysfonctionnements ? Plus éloquent, le sous-titre (« l’état d’exception et la résilience du droit dans la société de sécurité ») appelle également des précisions complémentaires pour saisir l’ampleur du projet. Relevons au préalable la dimension de la recherche présentée au fil des 684 pages que compte l’ouvrage, richement documenté, y compris par de nombreuses références de langue anglaise (128 pages de bibliographie). Sans être véritablement explicités, les choix épistémologiques se rapprochent de ceux arrêtés par Jasper Finke et Anna-Bettina Kaiser : les références comparées, dans le temps et l’espace, font indubitablement partie de toute exploration sérieuse de la thématique de la crise et des états d’exception. S’ajoutent la discussion approfondie et critique des nombreux auteurs, anciens et contemporains, allemands et étrangers (y compris français) qui se sont penchés sur le sujet, attestant son « effet de fascination » permanent (p. 130). La matière investie par Tristan Barcack est impressionnante – et accueillie en conséquence[17], à juste titre : le lecteur y trouvera des éléments de nature à préciser ses connaissances sur les auteurs, les théories, l’histoire de l’état d’exception, mais aussi sur les débats contemporains autour des caractéristiques des États et des sociétés marqués par la globalisation et la digitalisation du monde, des échanges, mais aussi, inévitablement, des risques.

C’est à ce dernier niveau que se situe la thèse centrale : dans le cadre des sociétés « du risque et de la sécurité » (Risiko- und Sicherheitsgesellschaft(en)), l’une des principales problématiques de l’état d’exception se joue au niveau du droit ordinaire, infraconstitutionnel donc. L’État cherche en effet à répondre de manière anticipée aux risques : l’« État nerveux », en alerte permanente (p. 2, p. 360), se déploie, ce faisant, à travers des mesures relevant d’un « état d’exception anticipé » (antizipierter Ausnahmezustand). Cette thèse, présentée dans la quatrième partie de l’ouvrage » (IV. « L’état d’exception anticipé : l’état d’exception dans l’État de la société de sécurité »), est préparée par trois solides étapes (I. « Prolégomènes », II. « La loi de l’état d’exception : déconstruction théorique », III. « L’état d’exception comme loi : reconstruction historique »). La cinquième et dernière partie marque un pas supplémentaire : en partant du concept de « résilience », Tristan Barczak invite à reconstitutionnaliser le droit d’exception afin de revenir à une distinction mieux identifiée entre état normal (et droit ordinaire) et état d’exception (V. « Résilience du droit. Rigidité et flexibilité de la constitution en temps de crise »). On reviendra plus loin sur ces convictions, qui ne sont pas sans faire écho à nombre de débats français.

II. Des enseignements allemands sur l’état d’exception : à la limite du droit mais dans le droit

S’attaquant aux rapports entre exception et droit/normativité, exception et règle/normalité, les trois auteurs cherchent des réponses dans le droit, tout en insistant sur la difficulté à situer ce « problème », par essence « à la limite du droit » (an der Grenze des Rechts) (Finke, p. 32 et s., Kaiser, p. 14, 85 et s., Barczak, p. 130 et s.). « Problème juridique », l’état d’exception est aussi un problème « constitutionnel » (Kaiser, p. 49 et s.), parce qu’il conduit à une relativisation des droits et principes constitutifs des ordres constitutionnels (droits fondamentaux, séparation des pouvoirs) ; parce que son histoire s’envisage comme « une histoire constitutionnelle » (Barczak, p. 211).

Chacun des auteurs poursuit incontestablement un cheminement qui lui est propre, répondant à une problématique distincte. Mais ils s’appuient tous sur les riches ressources qu’offre l’histoire constitutionnelle et intellectuelle allemande. C’est là aussi l’un des intérêts que pourra trouver le public français à leur lecture : si nombre d’études françaises de grande qualité sont disponibles sur des sujets avoisinants, on constate aisément que l’Allemagne, sa science juridique, son histoire, son ordre constitutionnel actuel sont des références essentielles de toute étude prête à ouvrir sa perspective au droit comparé.

A. L’histoire allemande, référence par-delà les rives du Rhin

1. Moments choisis d’histoire constitutionnelle et politique

Les références historiques étudiées par les trois auteurs couvrent une période très large, de la République romaine à nos jours. Un aperçu suffira ici à souligner la richesse de l’histoire constitutionnelle allemande des états d’exception.

a. Une judiciarisation amorcée au xixe siècle

S’agissant d’abord du xixe siècle, Anna-Bettina Kaiser et Tristan Barczak s’arrêtent longuement sur la judiciarisation (Verrechtlichung) progressive de la question, dans le cadre des premiers États constitutionnels allemands. Il est particulièrement intéressant de relever que, quelle que soit la différence des régimes politiques (monarchies constitutionnelles allemandes, iie République française), le regard comparé est déjà fructueux. Plus spécialement, c’est ici le regard allemand qui s’enrichit du « modèle français » de l’« état de siège », prévu par la Constitution du 4 novembre 1848 et mis en œuvre par la loi du 9 août 1849 (Kaiser, p. 49 et s., 186 ; Barczak, p. 239 et s.). Rôle du parlement dans la déclaration dudit état, transfert de pouvoirs aux autorités militaires, suspension de certains droits fondamentaux : il est éclairant de comparer ces dispositions avec celles de la Constitution de Francfort du 28 mars 1849 (art. IV, § 197) et, surtout, avec celles de la loi prussienne du 4 juin 1851 (loi prévue les Constitutions prussiennes, par celle « octroyée » du 5 décembre 1848 d’abord, par celle « révisée » du 31 janvier 1850 (art. 111) ensuite). Les réflexions historiques sur cette période sont aussi instructives pour ce qu’elles nous enseignent de la portée de l’effort d’encadrement juridique de l’état de siège au xixe siècle (la validité de la loi prussienne s’étendra au territoire du Reich, jusqu’en 1919, à défaut d’adoption de la loi prévue à cet effet par la Constitution de 1871[18]), mais aussi de ses limites (on le verra plus loin, la solution du conflit constitutionnel prussien de 1862-1866 sera cherché hors du droit).

b. Weimar

Référence plus importante encore pour la doctrine allemande comme française travaillant sur les régimes d’exception, Weimar occupe, sans surprise, une place déterminante au sein des trois ouvrages. L’article 48 al. 2 de la Constitution du 11 août 1919 (ci-après WRV) est même présenté comme « le paragraphe d’urgence et peut-être même la disposition la plus fatale, la plus controversée, voire faisant l’objet de la réception la plus large de toute l’histoire constitutionnelle allemande » (Barczak, p. 266).

La disposition est en soi intéressante, prévoyant un régime de suspension de certains droits fondamentaux, sur décision du président du Reich : celui-ci peut, en effet, « lorsque la sûreté et l’ordre publics sont gravement troublés ou compromis […], prendre les mesures nécessaires à leur rétablissement ; en cas de besoin, il peut recourir à la force. À cette fin, il peut suspendre totalement ou partiellement l’exercice des droits fondamentaux garantis aux articles 114, 115, 117, 118, 123, 124 et 153 ».

C’est néanmoins surtout son rôle dans l’évolution et la perversion du régime de Weimar qui explique sa funeste célébrité. Faute de loi d’application (pourtant prévue, art. 48 al. 5 WRV) et surtout en raison d’un usage détourné par le Président Hindenburg – l’usage intensif qu’en fait, avant lui, le Président Ebert s’analyse davantage comme une tentative de sauver la République démocratique, dans le sens de la dictature de « commission » telle que définie par Schmitt[19] –, l’article 48 al. 2 a contribué au glissement de la République vers la dictature présidentielle (Barczak, p. 266 et s., Finke, p. 52 et s., Kaiser, p. 136 et s.)[20]. Sans doute, l’analyse est-elle à nuancer, en fonction des phases de la République : la pratique est surtout condamnable à partir de 1930, au vu du redoutable instrument que la disposition constitue pour les gouvernements minoritaires d’Hindenburg, et cela jusqu’à la destruction finale de l’ordre constitutionnel, actée par l’ordonnance « pour la protection du peuple et de l’État », édictée le 28 février 1933 aux lendemains de l’incendie du Reichstag (édictée sur le fondement de ce même article 48 al. 2 WRV). Sans doute également, la seule idée d’une « erreur de construction » de la Constitution de Weimar est-elle aujourd’hui reconnue comme fausse, au vu des éléments d’analyse à prendre en compte, juridiques certes, mais aussi, voire surtout, circonstances politiques, économiques et sociales[21]. Là n’est cependant pas l’essentiel pour nos auteurs : ils analysent tous à leur manière le régime de cette disposition, les querelles d’interprétation qu’elle a pu susciter, notamment autour de la possibilité de suspendre l’ensemble des droits fondamentaux, au-delà donc de ceux expressément mentionnés (les grands noms de la doctrine weimarienne s’y sont penchés, Carl Schmitt n’étant que le plus connu d’entre eux). Ils s’accordent en définitive sur la difficulté inhérente au choix de prévoir l’état d’exception dans la constitution.

2. Dialogues avec la doctrine de l’exception

On l’a dit, l’histoire intellectuelle de l’état d’exception est mobilisée par les trois auteurs. Cela ne saurait étonner, tant la dimension théorique est indispensable à la compréhension des problématiques sous-jacentes. En approfondissant leur réflexion sur les possibilités et limites du droit face aux situations d’exception, Anna-Bettina Kaiser et de Tristan Barczak proposent un dialogue intensif avec de grands noms de la doctrine et nous en offrent, par là-même, une lecture stimulante.

Gerhard Anschütz (1867-1949) en est un exemple notoire. Éminent représentant du positivisme classique allemand du début du xxe siècle[22], il est l’auteur d’une sentence célèbre, rapportée en 1919, mais relative au conflit prussien de 1862-1866. Si cet épisode est un moment marquant du constitutionnalisme allemand du xixe siècle, c’est notamment en raison des intenses querelles d’interprétation constitutionnelle qu’il a soulevées, de l’absence de dispositions permettant de les trancher et du choix final de Bismarck, optant pour une résolution strictement politique (discours du 27 janvier 1863). Peut-on alors dire, avec Gerhard Anschütz, que « le droit public s’arrête ici » (Das Staatsrecht hört hier auf)[23] ? La discussion est richement nourrie, par Tristan Barczak (p. 17, 139 et s.) comme par Anna-Bettina Kaiser (p. 28, 100 et s.). Cette dernière rappelle en outre que Hans Kelsen (1881‑1973), lorsqu’il s’attachera à renouveler/radicaliser les idées du positivisme au début du xxe siècle, refusera quant à lui d’accepter l’abdication du droit devant les « lacunes » auxquelles le droit peut être confronté en cas de situation extrême : il cherchera, on le sait, la résolution des conflits d’interprétation dans l’institutionnalisation de juridictions constitutionnelles.

Reste que, plus que l’approche de Kelsen, c’est celle de Carl Schmitt (1888-1985) qui est longuement discutée, dans les trois ouvrages (entre autres : Finke, p. 17, Kaiser, p. 105 et s., Barczak, p. 134, 275 et s.). Nulle surprise pour les Français, parfois décrits comme plus passionnés que leurs collègues allemands par le juriste de Plettenberg, « romantique de l’exception par excellence » (Barczak, p. 7, en français dans le texte). Avant d’être l’un des principaux contradicteurs antipositivistes de Kelsen lors de la « querelle des méthodes et des orientations » de Weimar (Methoden- und Richtungsstreit)[24], Schmitt s’attèle également à penser l’état d’exception à partir du conflit prussien. Son si souvent cité « est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle[25] » est ainsi proposé en 1922, trois ans après l’analyse d’Anschütz précitée. Il intensifie ensuite ses réflexions sur « le souverain », en confrontant l’usage de l’article 48 al. 2 WRV par le Président du Reich à sa théorie de la « dictature ». Ces éléments, bien connus des Français, trouvent ainsi un éclairage bienvenu dans les ouvrages ici commentés. Plus encore, il faut suivre le fil de leurs intenses échanges avec Schmitt pour saisir combien, ce ne sont pas tant ses théories de la souveraineté ou de la décision politique qui les intéressent : il s’agit surtout de s’opposer à lui pour ramener la situation d’exception dans le droit. Ils concèdent certes volontiers la pertinence de ses analyses sur la part d’imprévisibilité de l’exception, qui échappe à toute opération de subsomption. De même les deux auteurs, Anna-Bettina Kaiser spécialement (p. 63 et s.), reconnaissent l’importance de la différenciation avancée, entre différents états, du « droit de la pleine normalité » au cas d’« exception absolue » – soit la « vraie » exception pour Schmitt, celle qui met en danger l’existence de l’État. Ils ne manquent cependant pas d’y insister : ce que nous vivons n’est pas une exception au sens de Schmitt (Finke, p. 2 ; Kaiser, p. 64 ; Barczak, p. 207). Lorsqu’Anna-Bettina Kaiser travaille sur les modèles d’« inclusion » (Inklusion) (de l’exception dans le droit) et lorsque Tristan Barczak s’attache à « déconstruire la doctrine du droit public » (partie 3), c’est en effet la « zone grise » de l’exception qui les intéresse, celle qui se situe entre le cas « normal » et la situation absolument « hors de prise ». Les réponses se veulent juridiques, exprimant « la « confiance et l’espoir » (Barczak, p. 208) dans la fonction du droit. On comprend dès lors leur réfutation radicale d’anciens slogans tels « nécessité fait loi » (Not kennt kein Gebot) ou, plus encore, le rejet de l’antinomie entre État de droit et état d’exception, théorisée par Giorgio Agamben[26] – lequel radicalise certaines thèses de Schmitt (Kaiser, p. 58 et s. ; Barczak, p. 162 et s.).

Ces exemples sont évidemment trop limités pour rendre compte de la richesse des repères intellectuels qui jalonnent les trois ouvrages. Ils ne s’arrêtent du reste pas à l’histoire allemande des xixe et xxe siècles. Aux noms plus anciens encore (Kant, Pufendorf par exemple) s’ajoutent maintes références contemporaines. Konrad Hesse, Gertrude Lübbe-Wolff ou encore Ernst-Wolfgang Böckenförde trouvent ainsi une place de choix. Les positions de ce dernier sont du reste particulièrement intéressantes à relever, dès lors que, confirmant l’idée – même par trop schématique – de la « réception libérale » de Carl Schmitt qu’il représente[27], il se prononce en faveur d’une clause constitutionnelle générale, posant les bases de l’état d’exception, en tant que « partie » de la démocratie et de l’État de droit[28]. Comprendre cette position – et le point de vue qui l’oppose alors à Gertrude Lübbe-Wolff[29] – suppose de franchir un pas supplémentaire dans la réflexion allemande sur les états d’exceptions, afin d’en étudier les aspects les plus contemporains.

B. Les états d’exception de la Loi fondamentale : réflexions autour des choix allemands

S’ils n’ont pas pour seul objet d’étude la Loi fondamentale allemande de 1949, celle-ci constitue l’un des matériaux essentiels des analyses développées dans les trois ouvrages. D’un point de vue français, le regard sur le système allemand de l’exception s’avère très instructif.

1. De la confiance allemande dans le droit à la saisie « par le droit » de l’exception : la Loi fondamentale est-elle une « constitution pour temps calme » ?

En premier lieu, la thèse de départ de judiciarisation des états d’exception, notamment commune à Anna-Bettina Kaiser et Tristan Barczak, s’inscrit dans l’idée plus générale d’une « culture spécifique [allemande] de la confiance dans le droit[30] ». Plus spécialement, cette idée se décline en matière d’états d’exception, au point d’en constituer une spécificité allemande, relevée par les deux auteurs. Le modèle « inclusif » étudié par la première répond à la confiance placée dans le rôle directeur et stabilisateur du droit, « y compris en temps de crise » (Kaiser, p. 127, p. 181). Le second va dans le même sens, lorsque qu’il identifie le système de la Loi fondamentale comme le parachèvement du processus historique de judiciarisation (Barczak, p. 285 et s.). Étudier ce système suppose d’intégrer les dispositions constitutionnelles, mais aussi la jurisprudence constitutionnelle, spécialement celle rendue par la Cour de Karlsruhe en matière de droits des fondamentaux, désormais inséparable de la culture constitutionnelle allemande[31].

Cela ne signifie pas pour autant que la Loi fondamentale soit une « constitution pour temps calme » (Schönwetterverfassung littéralement « pour beau temps » (voir par exemple Barczak, p. 58, Kaiser, p. 209) : cette autre conviction est partagée par nos trois auteurs. Les constituants de 1949 ont certes renoncé à insérer une clause générale – l’article 48 al. 2 WRV demeure cité en contre-exemple – (Kaiser, 151 et s.) ; plus encore, ladite « Constitution de l’état d’urgence » (Notstandsverfassung), notamment intégrée en 1968 (cf. infra) est certes, pour l’essentiel, demeurée inappliquée. Il serait néanmoins « erroné » et « hâtif » (Kaiser, p. 51, 76, 144 ; Barczak, p. 61) de considérer que la Loi fondamentale ne contient pas d’état d’exception, d’en conclure trop vite à son succès, ou, dans le sens inverse, d’en déduire, avec Schmitt et son disciple Forsthoff, que la « fin » de l’état d’exception, actée en 1949, est aussi une « preuve de l’insécurité dans laquelle la République fédérale se trouve[32] ».

Au contraire, il y a bien un droit d’exception, et même de très nombreuses règles d’exception. Anna-Bettina Kaiser adopte en conséquence une conception large du « droit constitutionnel d’exception », afin d’intégrer le conglomérat des dispositions qui permettent d’appréhender différentes possibilités de perturbations de la « normalité » de l’ordre constitutionnel libéral et démocratique. L’acception du cadre de l’exception proposée par Jasper Finke et Tristan Barczak est plus étendue encore : le premier s’intéresse à l’impact des crises sur le droit constitutionnel écrit (y compris jurisprudentiel) et non écrit ; tandis que le second articule une grande partie de sa réflexion, non pas sur le droit constitutionnel, mais sur le droit ordinaire de crise – c’est du reste ce qui le conduit à évoquer une « renaissance de l’état d’exception » (p. 61 et s.), bien plus que sa fin annoncée, donc.

2. Les états d’exception de la Loi fondamentale – mise en perspective

L’un des intérêts des trois ouvrages tient précisément à la perspective large adoptée, qui permet de considérer les divers énoncés, régimes (et interprétations) d’exception que porte la Loi fondamentale allemande de 1949 – et de réfléchir, en parallèle, à sa comparaison possible avec d’autres systèmes. Avant d’approfondir leurs thèses principales (infra III), les auteurs soumettent plusieurs questions à la réflexion : comment les différentes conceptions, des constituants à nos jours, se traduisent-elles dans les textes constitutionnels ? Le « perfectionnisme légaliste » de la Loi fondamentale[33] ne conduit-il pas à un ensemble en définitive à la fois « trop large » (inutilement détaillé) et « trop limité » (ineffectif et impraticable) (Barczak, p. 289, Kaiser, p. 178) ? Comment la Loi fondamentale a-t-elle fait face à diverses mises à l’épreuve – loin des temps calmes un temps professés ? De la funeste crue de l’Elbe (Hambourg) de 1962 à la crise actuelle liée à l’épidémie Covid-19, en passant par le violent épisode terroriste de la fin des années 1970 et par les affrontements autour de la loi sur la sécurité aérienne, telle que modifiée en 2005 à la suite des attentats du 11 septembre 2001 : ces épisodes trouvent leur place dans les trois ouvrages ; et tous permettent d’appréhender plus concrètement les régimes de crise de la Loi fondamentale.

a. La « constitution d’urgence » et l’épreuve des attentats terroristes des années 1970

Si l’on se concentre sur les dispositions de la Loi fondamentale (sans intégrer celles des constitutions des Länder), on distingue classiquement les états de nécessité extérieur (« état de tension » (Spannungsfall) de l’article 80a LF, au stade d’alerte, et « état de défense » (Verteidigungsfall) de l’article 115a-l LF, en cas « d’agression armée »), l’état de crise intérieure (innerer Notstand) de l’article 91 LF, prévu « pour écarter un danger menaçant l’existence ou l’ordre constitutionnel libéral et démocratique de la Fédération ou d’un Land »). L’article 87a LF précise en outre les conditions de « mise sur pied et missions des forces armées » dans ces trois derniers « états ». Notons en outre le « cas de catastrophe » (Katastrophenfall – « catastrophe naturelle ou sinistre particulièrement grave ») de l’article 35 LF : seule cette dernière disposition, qui prévoit une entraide judiciaire et administrative entre Bund et Länder a déjà été mis en œuvre.

L’ensemble de cette « constitution de l’état urgence » (Notstandsverfassung) est souvent rapporté à la 17e révision constitutionnelle du 24 juin 1968 (et à ses lois d’application). Celle-ci a en effet inséré les articles 80a et 115a-l, modifié les articles 35, 87a et 91 (régimes d’urgence précités), tout en complétant le catalogue des droits fondamentaux, que ce soit pour prévoir de possibles limitations en cas de nécessité (not. art. 10 LF – secret de la correspondance, des postes et des télécommunications – et art. 11 LF – liberté de circulation) ou pour intégrer un « droit de résistance » des Allemands contre « quiconque entreprendrait de renverser [l’] ordre [libéral et démocratique, s’il n’y a pas d’autre remède possible » (art. 20 al. 4 LF).

La présentation systématique qu’en propose Anna-Bettina Kaiser (p. 171 et s.) est opportune. D’une part, elle relève que, même limité, un premier état de nécessité interne avait déjà été prévu par les constituants de 1949 (ancien art. 91 LF). D’autre part, elle rappelle que l’absence de régime spécifique complémentaire s’expliquait alors, non seulement par le spectre de Weimar, mais aussi par le statut d’occupation issu de la Seconde Guerre mondiale : ce n’est qu’avec la levée des réserves alliées et la reconquête progressive de la souveraineté allemande que de nouveaux régimes pourront – et devront – être envisagés[34]. Il faut s’arrêter ensuite sur les premières années d’existence de la « constitution d’urgence » pour en saisir l’une des problématiques principales, longuement discutée par Anna-Bettina Kaiser et par Tristan Barczak : dès les premières années de son adoption elle fait face à sa première « mise à l’épreuve » avec les attentats terroristes d’extrême-gauche (Rote Armee Fraktion (RAF)) – qui culminent en 1977. Et déjà le caractère inadéquat de l’« état de crise intérieure » est dénoncé, déclenchant nombre débats sur l’existence d’un « droit d’urgence non écrit » comme sur le caractère supplétif du droit ordinaire, en particulier du droit pénal, de la procédure pénale et de la police administrative (not. Kaiser, p. 115 et s., 267 et s., 337, Barczak, p. 625). C’est aussi dans ce cadre que s’analyse la critique formulée par Böckenförde, reprochant à la Loi fondamentale de « refouler » l’état de nécessité[35] (voir not. les analyses de Kaiser, p. 114 et s., qui confrontent remarquablement ses positions à celles de Carl Schmitt et du « smendien » Konrad Hesse)[36].

Pour saisir l’étendue et la diversité des dispositifs constitutionnels d’exception de la Loi fondamentale, il faut cependant dépasser cette seule « constitution d’urgence ». On l’a dit, c’est l’un des intérêts des trois ouvrages que d’élargir l’analyse et la réflexion au-delà des normes expressément associées aux états d’exception.

b. Prévention et démocratie défensive

Un nouveau point de convergence à signaler entre les thèses d’Anna-Bettina Kaiser et par Tristan Barczak s’observe au niveau de l’inclusion de la thématique de la prévention, de l’anticipation dans leurs analyses. On s’arrêtera plus loin sur les particularités de l’étude du second autour de sa description de l’« État nerveux ». Pour l’heure, si l’on en reste aux dispositions constitutionnelles, il apparaît que l’un des points de la discussion allemande s’articule autour d’une idée notamment formulée par Ernst Forsthoff en 1960[37] : en prévenant, en amont, la possibilité même des crises, la Loi fondamentale permet-elle de les éviter ? On peut analyser dans ce sens la quête d’un équilibre général de l’ordre constitutionnel allemand, par exemple recherché par les règles visant la stabilité du régime parlementaire (art. 67, 68, 81 LF par exemple). Plus significatives encore, les dispositions relevant de la « démocratie défensive » (wehrhafte Demokratie) sont abondamment discutées. Se prononçant résolument en faveur de l’intégration de ce Sonderweg allemand au sein de l’analyse du droit constitutionnel de l’exception (p. 154 et s.), Anna-Bettina Kaiser se rapproche de l’analyse de Tristan Barczak lorsque celui-ci expose le système constitutionnel allemand « de la prévention et de la prévoyance » (p. 419 et s.). L’origine de ces idées sous Weimar (Loewenstein not.)[38], comme leur écho dans les discussions constituantes de 1948/1949, sont intéressants à mettre en perspective : en prévoyant la possible interdiction d’associations et de partis politiques (art. 9 al. 2 et 21 al. 2 et s. LF), la déchéance des droits fondamentaux (art. 18 LF), mais aussi, plus largement, l’existence d’un noyau constitutionnel intangible (art. 79 al. 3 LF), les constituants se sont-ils donnés les moyens de contrer la montée des « ennemis de l’intérieur » ? Sans doute la réponse est-elle décevante, les dispositions n’ayant en définitive guère été mise en œuvre (quatre demandes inabouties, par exemple, s’agissant de l’art. 18 LF). Cela n’enlève néanmoins rien à l’intérêt de les intégrer dans réflexions, tant pour ce qu’elles nous enseignent des conceptions sous-tendant leur existence, que pour la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale y afférente (not. Kaiser, p. 285 et s.).

c. Discussions autour de la loi sur la sécurité aérienne

Limites des régimes constitutionnels face au terrorisme, législation préventive contre des « ennemis » du régime libéral et démocratique, noyau intangible de la Loi fondamentale, jurisprudence de la Cour de Karlsruhe : ces différentes thématiques, déjà rencontrées, ont été particulièrement alimentées par la modification de la loi sur sécurité aérienne en 2005 (Luftsicherheitsgesetz (LuftSiG)), souvent présentée comme la réponse allemande aux attentats du 11 septembre 2001. Au cœur des contestations politiques et juridiques se trouvait en particulier son § 14 al. 3, lequel prévoyait un cas exceptionnel de recours à la force armée contre un aéronef civil (y compris donc transportant des passagers) : cette disposition a été jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle fédérale en 2006, notamment en raison de la méprise du droit intangible à la dignité humaine (art. 1 al. 1 LF), également fortement critiquée dans la doctrine, à juste titre[39].

La place réservée aux discussions se rapportant à ces questions, dans les études de nos trois auteurs, s’explique aisément au regard de leurs thèses respectives. La jurisprudence de Karlsruhe et les débats autour de dignité humaine sont ainsi centraux pour le « droit constitutionnel de l’exception » d’Anna-Bettina Kaiser (par ex. p. 201 et s.). Pour Tristan Barczak, le § 14 al. 3 est un exemple de législation ordinaire préventive, relevant d’un droit état d’exception anticipé (policier et pénal), qui aurait sa place dans le droit constitutionnel formel (par ex. p. 508 et s.). Pour Jasper Finke enfin, il y a là une « contribution majeure à la meilleure compréhension des mécanismes qui sous-tendent le processus transformateur des crises » (p. 69 et s., en part. p. 81), en intégrant différente « situations d’exception extraordinaires[40] ».

III. Des pistes de réflexion pour le droit français ?

Après avoir largement insisté sur les points de convergence entre les thèses de Tristan Barczak et d’Anna-Bettina Kaiser, il importe d’en souligner certains traits distinctifs – plus importants que les oppositions, les deux thèses n’ayant pas vocation à se répondre l’une à l’autre. Le choix de se concentrer à présent sur ces deux ouvrages s’explique aussi par le cadre français de la présente recension : tous deux portent en effet, plus ou moins directement, des critiques du modèle français d’état d’exception.

A. De la « dogmatique de l’état d’exception » à la défense de l’intangibilité absolue de la dignité humaine

Le droit constitutionnel français n’apparaît qu’en marge des recherches d’Anna‑Bettina Kaiser. Il y a cependant matière à une fructueuse comparaison, tant dans ce qu’elle en perçoit directement, que, en creux, lorsqu’elle s’attèle à approfondir sa démonstration, aisément qualifiable de « typiquement allemande ».

1. Critique du « contre-modèle » français

Lorsqu’elle décline les modèles possibles de l’« inclusion » de l’exception dans le droit constitutionnel (p. 127 et s.), Anna-Bettina Kaiser commence par observer que le droit français se rapproche du modèle allemand, en ce qu’il comporte des règles spéciales pour régir l’exception : c’est ce qu’elle qualifie de modèle différencié (Differenzmodell), par opposition au modèle unitaire (Einheitsmodell), par exemple rapporté au système belge (p. 184 et s.).

L’analyse du système de la Ve République n’est en pas moins extrêmement sévère : Anna-Bettina Kaiser y décèle en effet une « rupture complète avec la tradition constitutionnelle française » (p. 186), tradition de judiciarisation qu’elle avait identifiée dans le modèle de la loi de 1849 (voir supra). D’abord, si le « désuet » (p. 192) état de siège est repris dans le texte de 1958, il est désormais décrété en Conseil des ministres (art. 36 al. 1 CF), et non plus déclaré par l’Assemblée nationale. Ensuite, la « banalisation » du recours à l’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955 est incriminée : la manière française d’appréhender le terrorisme depuis 2015 ne saurait être un « modèle pour une discussions politico-constitutionnelle comparée » (p. 206) – nous y reviendrons plus tard, le grief étant plus acerbe encore sous la plume de Tristan Barczak. Surtout, enfin, la « clause de dictature de l’article 16 » ne trouve aucune grâce à ses yeux (p. 186) : et c’est peut-être ici moins la possible parenté avec l’article 48 de la Constitution de Weimar qui est, en soi, critiquable[41], que le regard contemporain porté sur un « contre-modèle », qui a pris ses distances avec le droit constitutionnel d’un État de droit parlementaire (p. 192). Rien de bien nouveau pour les Français, habitués aux critiques de leur régime, certes parlementaire, mais à direction présidentielle, plus que jamais affirmée. Les Français ne disent du reste pas autre chose[42]. Reste que, même brève, l’analyse comparée est cinglante.

De là à ne voir que des avantages au modèle allemand, il y a un pas ; un pas qu’Anna-Bettina Kaiser ne franchit pas – même s’il est possible de discuter la présentation parfois trop laudative de la Loi fondamentale allemande.

2. Une dogmatique constitutionnelle de l’exception – une manière allemande inconnue des Français

Développée dans sa troisième et dernière partie, la thèse d’Anna-Bettina Kaiser est avant tout une étude allemande : allemande par son objet principal (le système de la Loi fondamentale), mais aussi par a la démarche adoptée. Il s’agit en effet d’étudier la « dogmatique » du « droit constitutionnel de l’exception », à l’épreuve des droits fondamentaux (Lackmustest[43]). On a déjà insisté sur l’intérêt de mettre l’accent sur ces derniers, particulièrement menacés lorsque la sauvegarde de l’ordre public est mise en avant. Poussant son entreprise de modélisation, l’auteure compare deux modèles. D’un côté, le modèle de suspension (Suspensionsmodell), qui accepte que les droits et libertés soient « un instant suspendus pour sauver le gouvernement menacé ». Et si ces derniers mots sont ceux du commissaire du gouvernement Corneille, dans la France de 1915[44], ils traduisent une approche à la fois déjà rencontrée dans les régimes du xixe siècle et sous Weimar, et qui demeure, aujourd’hui encore, celle adoptée par d’autres États, et consentie par la Convention européenne des droits de l’homme (art. 15 CEDH). À l’inverse, la Loi fondamentale allemande a délaissé ce système au profit d’un modèle de « limitation » (Einschränkungsmodell) (Kaiser, p. 221 et s.), lequel commande, non pas une éclipse de la garantie des libertés, mais une adaptation, sous le contrôle du juge.

C’est ici qu’il faut insister sur l’importance de la « dogmatique » des droits fondamentaux (Grundrechtsdogmatik) en Allemagne : contrairement à la France, où elle « en est à ses balbutiements »[45], la dogmatique constitue l’orientation courante de la science juridique allemande, lorsqu’elle s’applique à systématiser le droit applicable, tel qu’interprété par la jurisprudence, spécialement par la Cour constitutionnelle fédérale. Ainsi situées à la jonction de la science et de la pratique juridique allemande, les questions posées par Anna-Bettina Kaiser prennent tout leur sens : « avec quelles figures dogmatiques la Cour constitutionnelle fédérale [accompagnée des juridictions ordinaires] a-t-elle concrétisé le modèle [allemand] » ? Comment peut-on caractériser la dogmatique constitutionnelle de l’exception (Ausnahmeverfassungsrechtsdogmatik) ? […] La Cour constitutionnelle fédérale a-t-elle confirmé sa mission de gardienne des droits fondamentaux » ? (Kaiser, p. 263).

Deux étapes sont distinguées pour répondre à ces questions. La première retrace le système de la Loi fondamentale : aussi classique soit-il pour les Allemands, le rappel de ce système est intéressant pour les Français et illustre parfaitement dans quelle mesure la dogmatique allemande est en principe la même, en temps « normal » et en temps d’exception : sont ainsi distingués différentes possibilités de limitations des droits, en fonction du droit concerné (drei-Stufen-Modell der Einschränkbarkeit), puis différentes garanties (drei-Stufen-Modell der Grundrechtssicherung), qui sont autant de « limites » posées aux limitations possibles des droits – principe de proportionnalité, garantie de la substance des droits (art. 19 al. 2 LF), intangibilité de la dignité humaine (art. 1 al. 1 LF, placé sous la garantie de la clause « d’éternité » de l’art. 79 al. 3 LF). La seconde étape contient la thèse principale de l’auteure : à la faveur d’une étude de cas et de jurisprudence, Anna-Bettina Kaiser s’interroge sur les risques d’une trop grande flexibilité du modèle, spécialement lorsque les crises le mettent à l’épreuve. Or, le véritable péril se situe au niveau des garanties des droits.

Le raisonnement est passionnant, y compris pour les Français, y compris pour éclairer des problématiques très actuelles. On sait en effet combien le principe de proportionnalité est aussi déterminant pour la mise en balance des droits et principes constitutionnels qu’il est menacé lorsque, en cas de situation extrême, toute limitation est susceptible d’être jugée adaptée, nécessaire et proportionnée – la crise Covid-19 le rappelle, une nouvelle fois. Le « principe […] touche [alors] à ses limites » (p. 277). C’est alors du côté des dernières garanties qu’il faut se tourner, pour évaluer si le modèle allemand ne risque pas lui-même de devenir un système de « suspension » dangereuse des droits, à même de les vider de leur substance. En d’autres termes, la dignité humaine en particulier est-elle « ouverte à une mise en balance » ou reste-t-elle une ligne rouge infranchissable (p. 260) ? La discussion de la jurisprudence de la Cour, notamment celle précitée de 2006, relative à la Loi sur la sécurité aérienne, alimente parfaitement, tant le débat théorique que la thèse finalement soutenue par Anna-Bettina Kaiser, en faveur d’une « intangibilité absolue et sans exception de la dignité humaine » (p. 362).

En définitive, la perspective comparée est, ici aussi, de première importance : pour comprendre cette dogmatique, qui n’existe pas dans cette mesure en France ; pour s’interroger aussi sur le modèle allemand – bien sûr, la critique d’une trop forte emprise du droit dans la culture allemande doit être entendue (p. 127 – a contrario de la « culture » française) ; pour réfléchir enfin au rôle essentiel du droit et de la science juridique, même en étant conscient qu’il est  « naïf » d’y placer une trop grande confiance, quand les moments « existentiels » ébranlent l’ensemble du système social (p. 362 et s.). Anna-Bettina Kaiser le rappelle de manière très convaincante.

B. Réflexions pour une meilleure démarcation des états d’exception

Si l’État « nerveux » répond quotidiennement, par anticipation, à des risques encore non advenus, cela contribue à estomper la distinction entre le normal et l’exceptionnel : la thèse centrale de Tristan Barczak est développée tout au long de son volumineux ouvrage. Sa lecture est instructive, pour ce qu’il nous apprend « de la normalité observée à partir de l’exception, comme de l’exception, observée à partir de la normalité ». On ajoutera à ce diagnostic fort pertinent, proposé par Christoph Gusy[46], que le lecteur français en sort spécialement enrichi pour le regard critique porté sur le droit français.

1. L’état d’exception anticipé, un processus implacable ?

Les ingrédients de l’« état d’exception anticipé » sont richement déclinés et documentés. Du côté de la société, l’accent est mis sur sa perception subjective du « risque », certes déjà ancienne[47], mais renforcée par différentes « situations de menaces généralisées » (p. 517) – pour la santé, la sécurité ou encore l’environnement –, dans un cadre digitalisé et globalisé. Du côté de l’État, les attentes croissantes formulées à son égard se traduisent par la tentation de la précaution (Vorsorge) et de la prévention (Prävention)[48], constitutives de l’anticipation (p. 368 et s.). Mais ne s’agit-il pas là d’objectifs de police administrative ? La force critique de la démonstration se précise avec la description des moyens employés à cet effet. Lorsqu’il importe d’agir « maintenant » (Schon-Jetzt-Handlung) pour répondre à des « évènements qui ne sont pas encore advenus » (Noch-nicht-Ereignisse) (p. 23 et s., 34 et s., 361), l’instrument idéal est moins à chercher dans le droit constitutionnel que dans le droit ordinaire, légiféré, celui de l’état « normal » donc. Or, telle est bien la caractéristique principale de cet état d’exception anticipé, « légiféré » (p. 291 et s., p. 423 et s.), en conséquence « déconstitutionnalisé ». Ramenant ce faisant le cœur de l’analyse au niveau du droit ordinaire, la thèse pointe différentes confusions (entre normal et exception, mais aussi entre droit de la police et droit pénal), atteintes aux principes de l’État de droit démocratique et, sans surprise, ingérences disproportionnées dans les droits fondamentaux : le déplacement de la frontière entre sécurité et liberté, ne conduit-il pas à des ingérences, non plus « ad hoc et temporaire » mais « peu à peu et inscrite dans la durée » (p. 83, en français dans le texte) ?

2. Regards critiques sur le recours français à l’état d’urgence

Le processus est particulièrement caractérisé pour les États en lutte contre le terrorisme, celui-ci emportant une « migration du paradigme de l’urgence » (p. 320 et s.). Cela vaut pour l’Allemagne, dont l’arsenal sécuritaire déployé lors dudit « automne allemand » de 1977 est étudié avec soin. Cela vaut en outre pour ce qui a pu être qualifié d’« automne turc », à partir de 2014 (p. 329 et s.), et, en écho, d’« automne français », à partir des attentats de 2015 (p. 336 et s.). La France est un terrain d’étude tout choisi pour Tristan Barczak : comme sa collègue de Berlin, il relève en effet la conjugaison particulière de la longue application/adaptation/prorogation d’une loi dérogatoire au droit commun, issue de la ive République (loi de 1955, appliquée du 14 novembre 2015 au 30 octobre2017) suivie par l’inscription de ses principaux instruments dans le droit commun (extension des pouvoirs de police administrative not., sous de nouvelles dénominations) en vertu de la loi dite « SILT » (sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme) du 20 octobre 2017. Les Français connaisseurs de ces questions n’y apprendront rien de nouveau, tant le « paradoxe de l’exception qui dure », « banalisant » ce faisant les restrictions aux libertés a pu être dénoncé par les meilleurs auteurs[49]. Il n’en est pas moins remarquable de lire ces accusations sous la plume d’un Allemand, fin connaisseur du droit français[50]. Nul doute qu’il y a là matière à poursuivre le dialogue franco-allemand autour de cette réflexion sur les choix d’une France, disposant d’un côté, plutôt de « trop que de trop peu » de régimes d’exception (p. 337) et cédant trop vite à la tentation de pérenniser l’urgence, au risque de voir ses fondements se dissoudre.

3. Une solution allemande ?

S’ajoute le constat déconcertant de l’inutilité des dispositions, tant de celles qui ne sont pas mises en œuvre parce qu’inadaptées – et la crise sanitaire le confirme[51] –, tant de celles qui s’inscrivent dans la durée du droit ordinaire, sans apporter de réponses efficaces aux menaces qu’elles visent pourtant à prévenir. Pour Tristan Barczak cependant, il n’y a pas lieu d’en conclure, avec Schmitt et Forsthoff, à la « fin » de l’état d’exception (précit.) : il s’agit bien plus d’appeler à écrire un nouveau chapitre de la longue histoire de l’état d’exception.

Prenant acte du « changement de paradigme » en cours, il appelle à repenser « conséquemment », « à partir de l’état normal » et « à partir de l’état d’exception » (p. 61 et s.). Retracer cette « ligne de démarcation » (Trennlinie) suppose d’abord de mieux identifier les critères du droit « normal » (p. 462 et s.). L’étude est ici intéressante pour ce qu’elle nous rappelle du droit administratif classique, de la police en particulier, structuré à partir des conceptions et catégories, issues de l’État de droit du xixe siècle (clause générale de prévention du danger, envisagé comme suffisamment concret ; imputabilité à un Störer, responsable de troubles – concept d’une importance moindre en droit français ; contrôle de proportionnalité liberté/ordre public). Il s’agit ensuite de distinguer les critères d’un droit qualifié de « petit » état d’exception (p. 538 et s.) : celui se distingue du « vrai » (echt) ou « grand » état d’exception – celui qui répond à la menace directe de l’existence de l’État – mais aussi du droit ordinaire (police, droit et procédure pénale), dont il outrepasse toutes les limites. Considérant qu’il y a là tous les ingrédients d’une inconstitutionnalité manifeste, Tristan Barczak ponctue sa démonstration d’une proposition de constitutionale ferenda, tendant à ajouter un nouvel article 80ab dans la Loi fondamentale, sur le modèle de l’article 80a LF précité (état de tension). L’idée est aussi originale qu’intéressante, dès lors qu’il s’agit surtout de préciser des conditions formelles et procédurales d’une « législation de réserve », et, ce faisant, de redonner à l’édiction de mesures spéciales un fondement constitutionnel et de contrer toute mise à l’écart du parlement (p. 630 et s.) – question fondamentale du partage des compétences, dont le rappel est aussi l’une des valeurs ajoutées du travail de Tristan Barczak.

Reste à savoir si la solution proposée est véritablement praticable : la pandémie actuelle a une nouvelle fois démontré les chemins de traverse empruntés par le droit de crise. Quant à la notion de « résilience » qui ponctue l’étude (p. 605 et s.), on saluera l’intérêt de proposer une conceptualisation juridique d’une notion largement investie par d’autres sciences. En offrant une possible conjugaison entre rigidité et flexibilité du droit, elle s’applique fort pertinemment au droit de la crise. On peut simplement se demander s’il était judicieux de l’ériger en sous-titre de l’ouvrage, Tristan Barczak n’y consacrant finalement que peu de pages. Ou bien peut-on considérer, à l’inverse, que ce choix est judicieux, précisément pour les portes de réflexion qu’il ouvre ? Les trois auteurs dont on a proposé une rencontre dans ces quelques lignes en sont tous conscients : toutes écrites d’une main assurée, leurs démonstrations touchent un sujet qui frise en permanence les limites du droit, les limites de l’État aussi – des attentes qu’il suscite comme des moyens qu’il est à même de proposer dans une société mondialisée. Lorsque l’homme devient lui-même un risque[52], lorsque les catastrophes sanitaires remettent au goût du jour La Peste d’Albert Camus (1947) (plusieurs fois cité par Tristan Barczak), il faut bien reconnaître que « le droit n’est pas la seule solution » (Kaiser, p. 363-364) ; qu’il faut en appeler à un redoublement de vigilance et d’esprit critique des citoyennes et des citoyens[53] ; et sans doute aussi « à la responsabilité de la science juridique en temps de crise[54] ». C’est sans doute aussi cela, la résilience.

Aurore Gaillet

Aurore Gaillet est professeure de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, membre Junior de l’Institut Universitaire de France (IUF). Elle est notamment l’auteure de L’individu contre l’État. Essai sur les recours de droit public dans l’Allemagne du xixe siècle (Dalloz, 2021) et de La Cour constitutionnelle fédérale allemande. Reconstruire une démocratie par le droit (1945-1961) (La Mémoire du Droit, 2021).

 

Pour citer cet article :
Aurore Gaillet «Réflexions sur l’état d’exception à la lumière de trois ouvrages allemands : A.-B. Kaiser, Ausnahmeverfassungsrecht (2020), J. Finke, Krisen. Ein Erklärungsversuch dynamischer Rechtsentwicklungen in Krisenzeiten (2020), T. Barczak, Der nervöse Staat (2020) », Jus Politicum, n° 27 [https://www.juspoliticum.com/article/Reflexions-sur-l-etat-d-exception-a-la-lumiere-de-trois-ouvrages-allemands-A-B-Kaiser-Ausnahmeverfassungsrecht-2020-J-Finke-Krisen-Ein-Erklaerungsversuch-dynamischer-Rechtsentwicklungen-in-Krisenzeiten-2020-T-Barczak-Der-nervoese-Staat-2020-1446.html]