Ch. Alonso, A. Duranthon et J. Schmitz (dir.), La pensée du Doyen Hauriou à l’épreuve du temps : quel(s) héritage(s) ?, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2015

Thèmes : Institutions - Schmitt (Carl) - Hauriou (Maurice)

Ch. Alonso, A. Duranthon et J. Schmitz (dir.), La pensée du Doyen Hauriou à l’épreuve du temps : quel(s) héritage(s) ?, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2015.

Ch. Alonso, A. Duranthon et J. Schmitz (dir.), La pensée du Doyen Hauriou à l’épreuve du temps : quel(s) héritage(s) ?, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2015.

 

L’abondance des rééditions et des ouvrages dont a été l’objet, ces dernières années, l’œuvre de Maurice Hauriou atteste d’un intérêt critique qui dépasse la simple estime nostalgique de la doctrine publiciste française à l’endroit de l’un de ses plus grands maîtres. Marquant une nouvelle étape de cette considération et de cette redécouverte tardive de la pensée du juriste toulousain, les nombreuses contributions que rassemble ce recueil (publié, avec le concours de l’Institut Maurice Hauriou de l’Université Toulouse Capitole, par les Presses universitaires d’Aix-Marseille) forment un corpus qui, en dépit des apparences, n’a rien de disparate. En effet, se signalant à ses lecteurs par la justesse de sa distance entre l’hommage et l’analyse critique, cet ensemble parvient à trouver son principe unificateur dans les propriétés mêmes de la pensée à laquelle il se consacre, à savoir une pensée qui, tout en étant animée par une attention éclectique aux savoirs et aux disciplines non juridiques, se caractérise par une scrupuleuse fidélité à elle-même (dont l’une des plus constantes expressions est le refus de toute unification et formalisation du droit). Pour rendre ainsi justice tout à la fois à la cohérence et aux oscillations de cette œuvre, les responsables de cet ouvrage se sont proposés, en évitant aussi bien les écueils d’une excessive « empathie intellectuelle » que les effets déformants emportés par un travail de « rationalisation rétrospective », d’en offrir une grille de relecture et d’interprétations propre à en clarifier les lignes de force. Reconsidérée et commentée à un siècle de distance, elle semble offrir, désormais, de nouvelles voies d’accès et de fréquentation à tous ceux qui souhaitent s’y frayer un chemin. En étendant les diverses contributions à de nombreux champs du vocabulaire du droit public, l’ouvrage publié sous la direction de Ch. Alonso, A. Duranthon et J. Schmitz, porte le projet d’en « inventorier les richesses » et d’en « identifier les faiblesses ».

Placée, selon le vœu même de son auteur, « sous l’étendard de la complexité », cette œuvre ne cesse de donner à penser, que ce soient par les interprétations qu’elle emporte, les questions qu’elle soulève ou les outils conceptuels qu’elle déploie. La théorie de l’institution, dont la matrice intellectuelle réside dans l’affirmation d’un « vitalisme social » dont J.-A. Mazères rappelle les composantes élémentaires (la puissance créative, l’œuvre à accomplir, la durée) et le lien à ce qui est commun ou collectif, apparaît, encore aujourd’hui, comme un cadre heuristique opératoire. Sa puissance explicative est sans cesse révélée par l’intérêt que lui porte la doctrine, et cela par-delà ses éclipses (après la mort d’Hauriou, à l’exception des travaux de Georges Burdeau, la question de l’institution disparaît longtemps du débat doctrinal), sa redécouverte et les difficultés de sa postérité (Y. Tanguy, soulignant la « déshérence » d’une notion se tenant à rebours de l’évolution sociale, observe que l’institution « s’est dévoyée et dissoute dans l’organisation » alors que le phénomène du pouvoir a été dissimulé derrière le discours de la gouvernance). D’une part, la théorie de l’institution s’est prêtée à diverses déclinaisons (par exemple, aux yeux de Georges Renard, illustre disciple nancéen pour qui l’ordre institutionnel est avant tout celui d’une communauté chrétienne définie comme un corps dont le Christ serait la tête et les fidèles les membres, elle se tient tout entière, comme le rappelle M. Bouvier, dans « la fable des membres et de l’estomac ») ; d’autre part, elle peut encore constituer une éclairante grille d’explication de certains objets, ce dont témoigne l’application qui en est faite, dans le présent recueil, aux organisations internationales ou à l’école (pensée à la fois comme une institution de l’État et un service public institué, et ceci dans la postérité de J. Rivero qui a montré le profit tiré de son étude pour la compréhension du pouvoir et du droit disciplinaires).

Parallèlement à l’héritage de l’institutionnalisme, l’actualité de la pensée du maître toulousain peut aussi résider dans ses traits les plus secrets, à savoir les liens qu’elle noue avec la question de la temporalité juridique. Ainsi, l’articulation nouvelle entre droit et durée que commande une normativité contemporaine inscrite dans la circularité des moments de son élaboration, de son exécution et de son évaluation, invite, selon M. Doat, à la redécouverte d’une pensée toujours soucieuse de « s’approcher au plus près du réel ». En effet, l’œuvre du juriste toulousain est sans cesse « irriguée par [la] dimension du temps vécu » qui donne à voir un morcellement du processus créateur du droit entre l’idée génératrice de l’institution, l’organisation de cette idée et les manifestations de communion dont elle est l’objet. Ainsi, au regard du temps réel vécu, les définitions statiques de l’État véhiculées par le légicentrisme français ou la doctrine allemande de la Herrschaft, que ce soit sous la forme d’un ordre social ou celle d’une personne juridique née de la fiction contractuelle, ne sont que de savantes altérations de la réalité juridique. En rappelant que les récentes inflexions de nos systèmes juridiques, gagnés par l’idéologie de la performance et de l’efficacité, transforment le rapport du droit au réel, M. Doat observe que « ce retour au réel implique la prise en compte de la durée ». Toutefois, jugées à l’aune de la définition du droit (l’ars boni et aequi) et de la temporalité juridique privilégiée par Hauriou, les voies de la transmission doctrinale apparaissent ici, si ce n’est impénétrables, du moins assez singulières.

La distance avec laquelle s’opère le travail de lecture, qui est ici celle avec laquelle on lit un classique, n’interdit pas le regard critique. Il est ainsi rappelé que les écrits du maître toulousain ne sont pas toujours exempts de certains artifices. D’une part, M. Touzeil-Divina parle, à propos des travaux historiques menés par Hauriou, d’« un lecteur de mauvaise foi de la patristique administrative » coupable d’avoir réécrit l’histoire du droit administratif à la faveur d’un parricide doctrinal (« la négation des prédécesseurs pour affirmer la présence de leurs enfants républicains va littéralement avoir pour effet de “‘tuer” les véritables pères du droit administratif »). D’autre part, X. Magnon montre qu’une lecture « souvent déformatrice, parfois caricaturale » de la pensée kelsénienne est opérée par Hauriou au soutien d’une condamnation des postulats méthodologiques de la Théorie pure du droit, condamnation qui attribue une portée philosophique à une théorie qui n’a pourtant d’autre dessein que de construire une science du droit autonome. X. Magnon observe, cependant, que par une compréhension naturaliste de la norme fondamentale hypothétique qui conduit à la réduire à un ensemble de principes fondamentaux (constituant une légitimité constitutionnelle supérieure à la Constitution écrite), Hauriou « renvoie les kelséniens à leurs propres objections ». De surcroît, si les objets et les formes de savoir qu’il explore et dévoile sont encore, en partie, les nôtres, Hauriou, à l’instar des autres maîtres de la doctrine classique, n’a pas révélé et annoncé toutes les vérités de notre présent juridique. En témoigne, par exemple, la légende ternie d’un prophète de la Ve République : en effet, s’il est vrai que la conjugaison gaullienne (certes hiérarchisée) du pouvoir d’État et du pouvoir démocratique n’est pas sans rappeler l’opposition haurioutiste entre la souveraineté de gouvernement et la souveraineté de la nation, A.-L. Girard montre que la Ve République, impuissante à réaliser le modèle de l’équilibre, « n’offre en réalité qu’une faible adhérence à sa doctrine » (la consécration de la primauté de l’exécutif ayant fait l’économie des balances envisagées par Hauriou).

Si l’ouvrage porte, en un premier temps, sur la formation et la réception des approches épistémologiques et méthodologiques, il fait retour, en un second temps, sur les grandes théories déployées par le maître toulousain (théorie de l’institution, théorie des équilibres, compréhension élargie du principe de la séparation des pouvoirs). Parallèlement aux questions de droit politique liées au « régime d’État », le recueil consacre également nombre de ses contributions aux questions de droit administratif y afférentes (la propriété publique, l’acte complexe ou le contrat administratif). Au titre de l’approche méthodologique et de l’emploi des apports de la sociologie (dont témoigne, par exemple, une théorie sociologique de l’administration dont la modernité est révélée, selon J. Chevallier, dans l’esquisse précoce d’une théorie de la gestion publique et la construction d’une théorie de l’organisation administrative), J. Barroche observe que « l’alliance haurioutiste du droit et de la science sociale » trouve surtout à s’exercer dans « une attention scrupuleuse à l’empirisme des faits [qui doit] conduire à une intelligence toujours plus fine et aiguisée de la juridicité » qui est propre à en restituer l’« épaisseur humaine ». L’usage de l’argument sociologique sert essentiellement un élargissement de l’enseignement juridique, mais « en ayant toujours à cœur de maintenir l’intégrité du droit ». Établissant des parentés entre les phénomènes sociaux et les phénomènes juridiques, cet examen sociologique du droit s’adosse à un travail historique. C. Argyriadis-Kervégan rappelle, à cet égard, que, tout en faisant sienne la démarche historique de Jhering qui permet de révéler l’importance du « commerce juridique » dans la formation des relations réglées par le droit, Hauriou porte essentiellement ses efforts sur l’organisation d’une société politique. Quant à « la force collective » de ce « commerce juridique », S. Roland rappelle que, par sa célèbre formule selon laquelle « la liberté n’a pas été trouvée sur les champs de foire », Hauriou entendait signifier qu’un va-et-vient entre la liberté de l’individu et l’entreprise sociale s’est toujours établi au cours de l’histoire (comme l’écrit Hauriou, « le fondement du droit individuel est la foi qu’a l’individu dans la vie sociale et le crédit que, par ses entreprises, il fait constamment à la société »).

Fondé comme une garantie de la liberté, l’ordre constitutionnel est étroitement lié à une réalité plus profonde qui est celle de la destinée morale de l’homme. En effet, comme le montre D. Mineur, délivrée de « la chrysalide d’une anthropologie réactionnaire », sa pensée est conduite à épouser une philosophie de la liberté qui fait du droit, rançon du péché, un facteur d’institutionnalisation de la liberté humaine. Dans la mesure où l’ordination de l’espèce humaine à la loi divine n’est plus acquise, les institutions y pourvoient « en tant qu’elles sont […] des créations de la liberté humaine, c’est-à-dire des œuvres durables ». À cet égard, en la rapprochant de la théorie de « l’intégration » défendue par Rudolf Smend, O. Jouanjan observe qu’il convient, pour demeurer au plus près des intentions du maître toulousain, de penser la théorie de l’institution à partir de l’individu et de sa conscience. Dans sa contribution soucieuse de démontrer que l’institutionnalisme d’Hauriou n’est « qu’une source d’inspiration apocryphe » de la pensée schmittienne, il souligne que « la dimension objective de l’institution renvoie à des phénomènes d’intersubjectivité et non à une entité transcendante par rapport aux subjectivités mues et émues ensemble ». À cet égard, le contexte weimarien des années 1933-1934 ne permet pas à Carl Schmitt de voir dans la théorie institutionnaliste une expression juridique de l’« ordre individualiste » se tenant au fondement de la civilisation occidentale. Cette théorie se tient donc à bonne distance de l’ordre concret schmittien qui s’épuise dans la figure intimidante d’un chef incarnant la communauté. Th. von Büren rejoint un tel jugement en observant que le juriste weimarien reprend l’aspect concret du concept haurioutiste « pour mieux en délaisser la dimension idéaliste et spirituelle ».

L’importance de cette dimension est celle que confère Hauriou au rapport entre les droits individuels et les exigences collectives. L’État, appréhendé comme « une société politique qui a su réaliser dans son sein la vie civile » grâce à un système d’équilibres, incarne la conciliation de l’individuel (la liberté) et du collectif (l’autorité). À cet égard, X. Bioy remarque très justement que si « le droit de l’individu contient l’intériorisation de la finalité sociale du droit », ce n’est que son régime juridique (à savoir le « droit de l’État ») qui permet de le pérenniser. Exprimée dans le Précis de droit constitutionnel, la conviction selon laquelle « c’est la forme politique et sociale de l’État qui, par ses équilibres internes, dégage les droits individuels en tant que droits », se tient au cœur d’une pensée appuyée sur la dialectique libérale du pouvoir légitime et de la liberté individuelle. Relevée par D. Mineur, la parenté avec la pensée hégélienne apparaît ici de manière manifeste : à l’instar de Hegel qui identifie dans l’État rationnel moderne (qui met en forme politique la société civile) l’espace d’une possible union de la totalité grecque et de la liberté des Modernes, Hauriou y voit le lieu d’une articulation entre les libertés individuelles proclamées par la Révolution et la cohésion des corporations d’Ancien Régime.

Cette attention à l’individu détermine également l’intelligence du droit. En se tenant dans les pas de J. Schmitz, le lecteur est conduit à penser que l’œuvre d’Hauriou – et ce serait là sa plus précieuse qualité – s’est sans cesse efforcée de percer à jour la spécificité du phénomène juridique qui est de relever, en tant que fait social complexe, de l’ordre des valeurs. Selon J. Schmitz, la nature profonde du phénomène juridique ainsi dévoilée est représentative : il est, en effet, « composé de faits accompagnés des projections de ces faits dans la conscience humaine, c’est-à-dire de représentations ». Avec une désarmante sincérité, Hauriou admet d’ailleurs que « les théories, même fondées sur des faits réels, ne sont que des foyers de lumière que nous projetons sur les choses pour les éclairer à notre commodité ». J. Schmitz observe, en écho à cette assertion, qu’à l’instar de Kelsen qui « s’appuie sur la hiérarchie des normes pour renvoyer à une conception démocratique, Hauriou fait confiance à l’institutionnalisation du pouvoir […] pour assurer l’État de droit ».

Au cœur de sa conception de l’État limité par le droit, sa conception matérielle des pouvoirs, qui juxtapose dans une logique d’équilibre les éléments de compétences ou de pouvoirs, conserve son originalité à l’égard des significations de la séparation des pouvoirs défendues par Charles Eisenmann ou Michel Troper. Comme l’écrit Ch. Alonso, par la préférence donnée à une spécialisation « relative » des pouvoirs (dans laquelle ces derniers groupent, parallèlement à l’exercice d’une fonction principale, des fonctions accessoires), « le jeu de la séparation des pouvoirs traduit la vie réglée et équilibrée des institutions, vie qui s’inscrit dans la durée et évolue au gré du mouvement dynamique des équilibres de pouvoirs entre eux ». Dans sa contribution où il est rappelé que le rôle qu’assigne Hauriou au juge est d’être un arbitre entre les individus et le pouvoir politique, C. Foulquier-Expert estime qu’une telle compréhension de l’office de juger redonne ses lettres de noblesse à l’idée de séparation des pouvoirs et permet de « penser une relation équilibrée et rationnelle entre le législateur et le juge » (relation qui est exprimée par Hauriou dans les termes d’une nécessité de voir « se constitue[r] entre la loi écrite et le juge un équilibre extrêmement délicat qui […] fait la qualité du droit de l’État » ; ainsi, « se limitant et se contrôlant l’un l’autre, la loi écrite et le juge trouveront l’exact ajustement du rationnel et du réel »).

Au détour de certaines de ses contributions, le recueil dessine le portrait d’un penseur « plus libéral que démocrate » qui, confronté à la question de l’autorité dans un régime républicain, se montre essentiellement soucieux, comme l’observe A.-L. Girard, de « restaurer l’écoulement paisible et continu du temps par des emprunts aux cadres de la pensée d’Ancien Régime et la préservation des seuls acquis révolutionnaires qu’il juge fondamentaux ». Quant à ses penchants les plus conservateurs, C. M. Herrera, soulignant une étroite articulation entre les inquiétudes politiques du juriste toulousain et leur conceptualisation juridique, reconnaît une proximité avec Carl Schmitt dans le jugement sévère porté à l’encontre de l’impuissance de la pensée libérale bourgeoise à faire face à l’affirmation du collectivisme. Relevant également cette commune suspicion à l’encontre de l’idéal de la discussion publique inhérent au parlementarisme, Th. von Büren observe que Schmitt et Hauriou appellent de leurs vœux une revalorisation de la fonction présidentielle et un État fort centré sur un pouvoir exécutif ayant les moyens d’écarter le péril des partis extrémistes (on sait, quant aux modalités propres à exaucer de tels vœux, que l’autoritarisme d’Hauriou, se tenant à distance de la radicalité schmittienne, est tempéré par un recours au juge). À l’instar d’un Thomas Carlyle, Hauriou voit dans le progrès de la civilisation (dont il interprète les étapes à l’aune augustinienne d’un travail de rédemption humaine opéré par la morale chrétienne) un mouvement animé par l’action des élites sur lesquelles repose une responsabilité historique particulière quant à la fondation et à la vie des institutions (au sein desquelles le pouvoir réel appartient non pas aux hommes, souvent médiocres, hissés au pouvoir par le suffrage, mais à une élite intellectuelle fonctionnarisée apte à soumettre les passions aux exigences de la raison). E. Maulin rappelle, à cet égard, que cette croyance dans l’irréductibilité du pouvoir minoritaire à la souveraineté nationale fonde la célèbre conception d’une primauté politique, « existentielle », de l’Exécutif sur le Délibératif. Cette primauté du pouvoir exécutif explique l’importance attachée par le maître toulousain à la notion de puissance publique qui apparaît comme le « véritable corollaire administratif du pouvoir minoritaire dans l’ordre politique ». Cette célèbre affirmation d’une distinction pouvoir majoritaire / pouvoir minoritaire n’est pas sans s’appuyer sur un examen approfondi de l’apparition de la formation du pouvoir dans l’histoire des sociétés humaines.

Si l’œuvre étudiée est un trésor de réflexions propre au commentaire, ce dernier invite, en retour, à revenir sans cesse aux textes. Pour ce faire, il convient de suivre une méthode attentive, selon J.-L. Halpérin, « à lire et à relire les auteurs du passé pour ce qu’ils ont écrit et non pour ce qu’on a voulu leur faire dire ». Ainsi, cet ouvrage consacré au Doyen Hauriou, par lequel la doctrine juridique est appelé à « penser après lui, avec lui, mais aussi, là où son œuvre trouve des limites, contre lui », permet de prendre la mesure d’un patrimoine théorique dont il est possible de penser que l’usage sert, aujourd’hui, à comprendre et à éclairer moins les principes directeurs que certains non-dits de la normativité contemporaine (à cet égard, la charge critique de l’affirmation du maître toulousain selon laquelle « on ne veut plus admettre que ce soit le pouvoir politique qui crée le droit » constitue un héritage doctrinal qui aurait pu être mis encore davantage en évidence dans le présent recueil).

Tous ceux qui ont été et sont encore soucieux de former dans les grandes œuvres doctrinales les intelligences et les sensibilités seront rappelés, à la faveur de la lecture de cet ouvrage, au savant souvenir de la dette contractée à l’égard d’une œuvre arrimée aussi bien aux essences immuables qu’aux vicissitudes de l’histoire. Au regard du recueil ici recensé, dont les textes ont été assemblés autour de la question de la résistance que peut opposer l’œuvre du maître toulousain à l’épreuve du temps, il peut être plaisant de dire de cette dernière qu’elle ne cesse d’ouvrir, comme le dit Hauriou de la constitution, une nouvelle histoire qui est celle de ses interprétations. En effet, par ses intuitions et ses inventions conceptuelles, elle ne cesse d’adresser à ses lecteurs et ses commentateurs des signes destinés à se réfléchir dans ce qu’ils écrivent eux-mêmes du droit et de la réalité juridique.

Jacky Hummel est Professeur agrégé de droit public à l’Université Rennes 1. Il est l’auteur notamment de Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : Le modèle allemand de la monarchie limitée, Paris, PUF, 2002 ; Carl Schmitt. L’irréductible réalité du politique, Paris, Michalon, 2005 ; Essai sur la destinée de l’art constitutionnel, Paris, Michel Houdiard, 2010.

Pour citer cet article :
Jacky Hummel «Ch. Alonso, A. Duranthon et J. Schmitz (dir.), La pensée du Doyen Hauriou à l’épreuve du temps : quel(s) héritage(s) ?, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2015 », Jus Politicum, n° 15 [https://www.juspoliticum.com/article/Ch-Alonso-A-Duranthon-et-J-Schmitz-dir-La-pensee-du-Doyen-Hauriou-a-l-epreuve-du-temps-quel-s-heritage-s-Aix-en-Provence-Presses-Universitaires-d-Aix-Marseille-2015-1058.html]