L’affaire Netanyahou. Un Premier Ministre accusé et plusieurs dilemmes constitutionnels non résolus

Thèmes : Israël - Cour Suprême israélienne - Premier Ministre - Immunité - Netanyahu (Benjamin)

Un député accusé de corruption peut-il présenter sa candidature, former un gouvernement et devenir Premier Ministre ? Cette question « juridique » a été soumise en 2020 à la Haute Cour de Justice israélienne. Cet article s’intéresse aux problèmes constitutionnels soulevés par le cas de Benjamin Netanyahu, Premier Ministre israélien durant plus de dix ans, jusqu’en juin 2021, et de son procès pénal. Il débute par un bref exposé du régime israélien avant les décisions de la Haute Cour qui assirent son pouvoir d’appliquer des règles éthiques à la conduite des dirigeants politiques. Ces développements sont en effet importants pour saisir la décision de la Cour Suprême qui autorisa, à l’unanimité des 11 juges, Benjamin Netanyahu à (re)devenir Premier Ministre. Cet article analyse également le raisonnement développé par les juges et propose une approche critique des enjeux et des difficultés soulevés par cette décision.

The Netanyahu case: An accused Prime Minister and several unresolved constitutional dilemmas. Can an MP accused of corruption run for office, form a government and become Prime Minister? In 2020, in Israel, this "legal" question was presented to the High Court of Justice. This article deals with the main constitutional issues relating to Benjamin Netanyahu (Israeli prime minister for more than ten years and until June 2021) and his criminal trial. It starts with a brief overview of the form of government in Israel and then analyzes the jurisprudence of the Supreme Court on certain decisions which established the power of the Court to impose rules of ethical conduct on political leaders. This development is important for understanding the decision of the Supreme Court, which, formed of 11 judges, unanimously decided to allow Netanyahu to become Prime Minister. The article also analyzes the reasoning of the judges and offers a critical approach to the several difficulties of this decision.

Résumé indisponible

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n député accusé de corruption peut-il se porter candidat aux élections, former un gouvernement et devenir Premier ministre* ? Il s’agit là d’une question très politique qui met en jeu des questions théoriques complexes. Cette question peut sembler déontologique ou morale, mais, en 2020 en Israël, c’est aussi une question juridique touchant aux pouvoirs du juge, posée à la Haute Cour de Justice (la hcj), c’est-à-dire la Cour suprême siégeant en matière administrative.

La question du statut d’un Premier ministre qui a fait l’objet d’un acte d’accusation n’a pas de réponse claire dans la loi. La question de savoir s’il peut se présenter aux élections, s’il peut former un gouvernement, servir et détenir tous les pouvoirs bien qu’il soit accusé, s’est posée pour la première fois en Israël.

Il est très rare, dans une démocratie, qu’un Premier ministre se retrouve accusé. Dans de nombreux pays, y compris en Israël, la pratique pour un Premier ministre, ou pour tout autre haut fonctionnaire, est de démissionner ou d’être suspendu s’il est inculpé – ou même soumis à une enquête – pendant son mandat[1].

La mise en accusation d’un Premier ministre en Israël concerne la question de l’immunité, celle de la capacité à servir et celle des conflits d’intérêts. Toutes ces questions constitutionnelles n’avaient jamais été abordées dans le droit israélien. L’affaire Netanyahou n’est pas seulement une affaire politique débattue en public : elle suscite également un déluge de dilemmes juridiques.

Cet article présente d’abord un bref aperçu de la forme du gouvernent en Israël avant d’analyser les faits et principaux problèmes constitutionnels relatifs au procès pénal du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Ce dernier, Premier ministre israélien depuis plus de dix ans, a été inculpé d’actes délictueux concernant des infractions de corruption. Au moment où nous écrivons ces lignes[2], Benjamin Netanyahou est toujours en fonction. Son procès devant le tribunal pénal devrait commencer dans quelques mois.

 

Introduction
La forme du gouvernement

 

Israël est un système parlementaire dans lequel le peuple élit le Parlement (une chambre, la Knesset). Le Président, après consultation des chefs des partis politiques, a la charge de choisir le candidat le plus approprié pour former un gouvernement conformément aux résultats des élections. Généralement il s’agit du chef du parti majoritaire à la Knesset.

Le Président israélien ne jouit que d’un rôle de représentation protocolaire, il est dépourvu, ou presque, de tout pouvoir réel, contrairement aux pouvoirs conférés au chef de l’État de régimes présidentiels tels que les États-Unis par exemple ou au président de la République en France. Enfin, il n’est pas le chef de l’Exécutif et ses pouvoirs sont insignifiants. L’article 1er de la loi fondamentale sur le Président de l’État institue qu’il est le chef de l’État[3]. Dans la plupart des régimes parlementaires, le chef de l’État se réduit à un rôle honorifique et de représentation. Tout comme dans les autres régimes parlementaires, le rôle du Président est, pour l’essentiel, cérémonial et ses pouvoirs sont mineurs, surtout comparés aux nombreux pouvoirs politiques dont dispose le Président de la République Française.

En ce qui concerne le Premier ministre, bien que la loi fondamentale sur le Gouvernement ne définisse pas sa fonction, il est considéré comme responsable des décisions les plus importantes en matière d’affaires intérieures et extérieures. Le Gouvernement (ou le Cabinet, les termes sont interchangeables) est composé d’un Premier ministre, de ministres et de vice-ministres. En Israël, le Premier ministre est généralement considéré comme « primus inter pares ». Il est dans une situation d’égalité avec les ministres, puisqu’il ne dispose que d’une seule voix lors des votes du Cabinet. En même temps, il est clairement prééminent puisque c’est lui qui forme le Cabinet et nomme les ministres à sa guise. C’est donc lui, le Premier ministre, le véritable « gouvernant » d’Israël.

Le Parlement israélien est composé de 120 députés (les membres de la Knesset ou mk), élus selon un mode de scrutin proportionnel, au sein d’une circonscription nationale unique. Les membres de la Knesset – la chambre des représentants de l’État – sont en effet issus de listes représentées de manière strictement proportionnelle. Contrairement à la plupart des démocraties occidentales, Israël adhère à ce système de manière radicale, la seule limite à la représentation des partis politiques à la Knesset étant le seuil électoral, présentement de 3,25 %.

 

I. L’acte d’accusation

 

Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, a été inculpé d’actes délictueux concernant des infractions de corruption. Les affaires portent toutes des noms de code à quatre chiffres.

Pour le dossier « 1000 », le Premier ministre et des membres de sa famille ont reçu de la part de personnalités très riches, notamment le producteur Arnon Milchen et le milliardaire australien James Packer, des cadeaux – cigares, bouteilles de champagne et bijoux – pour un montant supérieur à 700 000 shekels (environ 185 000 euros). Ces cadeaux étaient offerts en échange de faveurs personnelles. Netanyahou est accusé dans ce dossier de fraude et d’abus de confiance.

Le dossier « 2000 » traite de la relation et d’un éventuel accord entre le Premier ministre et l’éditeur du plus grand quotidien payant d’Israël, le Yediot Aharonot. Selon le procureur général, Netanyahou, pour s’assurer une couverture favorable dans ce quotidien, aurait mentionné la possibilité de faire voter une loi visant à limiter la diffusion du principal concurrent de ce journal, le quotidien gratuit et pro-Netanyahou Israel Hayom. Dans ce dossier, M. Netanyahou est également accusé de fraude et d’abus de confiance.

Dans le dossier « 4000 », le Premier ministre est soupçonné de corruption, fraude et abus de confiance : il est notamment accusé d’avoir essayé de s’assurer une couverture bienveillante sur le site d’information en ligne Walla. En contrepartie, il aurait facilité des faveurs gouvernementales qui pourraient avoir rapporté des millions de dollars à Shaul Alovitch, chef du principal groupe de télécommunications Bezeq et du site Walla.

Ce n’est pas la première fois qu’un Premier ministre israélien se retrouve sous enquête ou accusé. Les quatre derniers Premiers ministres ont fait l’objet d’une enquête criminelle. L’un d’entre eux, Ehud Olmert, a été poursuivi et condamné à une peine de prison qu’il a purgée. Mais il avait démissionné de son poste de Premier ministre avant d’être inculpé.

En Israël, c’est au procureur général qu’appartient la décision d’ouvrir une enquête contre un Premier ministre. L’institution de procureur général est exceptionnelle par rapport aux pouvoirs qu’il détient, considéré au prisme du droit comparé. C’est l’un des organes les plus importants et l’un des postes publics les plus puissants, il n’est cependant mentionné dans aucun texte constitutionnel. Étonnamment, aucune loi fondamentale ne s’applique au procureur général, ses pouvoirs ne sont édictés dans aucune loi. Le procureur général (en hébreu, conseiller juridique du Gouvernement) n’est pas seulement celui qui a le pouvoir d’engager des poursuites pénales, il représente également l’État dans les affaires judiciaires. Il sert également de conseiller juridique auprès des autorités gouvernementales et d’interprète autorisé de la loi pour le Gouvernement : ses avis juridiques sont contraignants. D’après la hcj, l’opinion juridique du procureur général contraint le Gouvernement à suivre son opinion pour être en mesure de protéger les décisions du Gouvernement devant les tribunaux lors du dépôt d’un appel contre ses décisions. De plus, le procureur général défend les intérêts publics et peut intervenir en tant que partie prenante dans les affaires judiciaires pendantes s’il estime que l’intérêt public l’exige. Le bureau du procureur général, avec cette multitude de pouvoirs clés, assume une responsabilité capitale pour le Gouvernement ainsi que pour le public. La majorité des États démocratiques du monde font une distinction entre l’institution de « conseiller juridique du Gouvernement » et celle de procureur de l’État.

Le procureur général actuel, A. Mandelblit, a occupé le poste de secrétaire du cabinet de Netanyahou (2013–2016). La première décision de mener une enquête relative à B. Netanyahou a donc posé un problème unique : le procureur général entretient une relation spéciale et complexe avec le Cabinet. En effet, il conseille le Cabinet et les ministres sur la légalité de leurs actions, mais, en même temps, il a le pouvoir d’ordonner une enquête policière et de porter plainte contre eux, y compris le Premier ministre. La décision d’enquêter et poursuivre le Premier ministre a provoqué une rupture dans les relations entre les deux hommes, Netanyahou et le procureur général, A. Mandelblit.

La première question qui se pose est de savoir si le Premier ministre jouit d’une immunité face à ces accusations.

 

II. L’irresponsabilité et l’immunité parlementaire

 

Le modèle israélien d’immunité ressemble au modèle prévu à l’article 26 de la Constitution de la Cinquième République française et donne aux membres de la Knesset une double protection : l’irresponsabilité et l’immunité :

– l’irresponsabilité (ou immunité fonctionnelle) protège le parlementaire israélien de toute poursuite pour des actions accomplies dans l’exercice de son mandat ;

– l’immunité procédurale (inviolabilité) concerne les infractions pénales et vise les activités extra-parlementaires. Elle permet à un parlementaire de demander à la Knesset de ne pas être poursuivi pendant la durée du mandat.

Le cadre normatif de l’immunité parlementaire se trouve dans l’article 17 de la loi fondamentale sur la Knesset, selon laquelle : « Les membres de la Knesset jouissent de l’immunité : les détails sont déterminés par la loi ». Cette déclaration signifie que les immunités parlementaires ne sont pas définies dans la constitution. Les « détails » sont énoncés dans une loi ordinaire, la loi sur l’immunité des membres de la Knesset de 1951, un arrangement qui fait d’Israël une exception en droit comparé : la plupart des constitutions dans le monde incluent à la fois un cadre et les détails relatifs à l’immunité parlementaire.

Il aurait été approprié de donner un ancrage constitutionnel à l’idée fondamentale que les députés jouissent de l’immunité, en particulier pour leurs opinions et leurs votes. L’immunité est une matière constitutionnelle et, par conséquent, toute modification devrait nécessiter un amendement constitutionnel. En Israël, toute Knesset, par une simple loi votée à la majorité simple, peut changer les règles de l’immunité : ajouter des restrictions ou modifier les règles. La plupart des pays incluent le cadre de base de l’immunité dans la constitution, précisément pour éviter des changements législatifs réguliers. Ce qui aurait dû également être le cas en Israël.

L’immunité parlementaire consiste à trouver un équilibre entre des principes et des valeurs opposés. Les objectifs de l’immunité visent à garantir la liberté d’action des députés, à leur permettre d’agir sans crainte de se trouver soumis à des poursuites judiciaires et à garantir leur liberté et leur indépendance vis-à-vis des autres autorités gouvernementales. Mais l’immunité viole le principe de l’égalité devant la loi et porte également atteinte à l’État de droit, car la loi est violée sans que le contrevenant ne soit poursuivi. Ainsi, la hcj, dans ses décisions relatives à l’immunité parlementaire, a tenté d’équilibrer ces principes contradictoires.

En Israël, il n’existe pas d’immunité ou irresponsabilité spéciale pour le Premier ministre. Étant nécessairement membre de la Knesset, il jouit des mêmes immunités que les autres députés. La question de savoir si l’irresponsabilité parlementaire vise également à protéger la fonction exécutive d’un membre de la Knesset en poste au sein du Gouvernement ne s’est jamais posée. En tout cas, même si nous supposons que cette irresponsabilité est destinée à protéger des ministres, y compris un Premier ministre, il convient d’examiner si les actes mentionnés dans l’accusation se trouvent dans le champ des actes commis dans l’exercice de sa fonction ou de son mandat.

A. L’irresponsabilité (ou immunité fonctionnelle) pour les votes, opinions et actes relevant de leur fonction

L’article 1er de la loi sur l’immunité traite de l’irresponsabilité et dispose que :

Cette immunité ne peut pas être levée par la Knesset et reste en vigueur après la fin du mandat parlementaire. Elle ne vise pas à permettre aux députés de violer délibérément la loi, mais si les députés se livrent à des actes illicites et qu’il existe un « lien » entre leurs actes et leur position parlementaire, alors ces actes illicites peuvent être considérés comme accomplis dans l’exercice de leurs fonctions.

Cette immunité entend garantir la liberté des députés d’agir et de s’acquitter de leurs fonctions sans craindre d’être poursuivis.

La hcj a traité de l’interprétation appropriée des mots « dans l’exercice de sa fonction » dans plusieurs cas. Dans l’affaire Pinhasi[4], la Cour a déclaré qu’un membre de la Knesset est obligé d’agir conformément à la loi, mais que parfois l’action « glisse » vers le domaine pénal. Si le « glissement » est un « risque naturel » de sa fonction, alors le mk est immunisé. L’idée ici est que la fonction du membre de la Knesset doit être conforme à la loi. Le critère suppose que même pendant une action légale, le mk peut se trouver sous le coup d’une action réprimée pénalement. En ce cas, le critère de « risque naturel » s’applique à une activité considérée comme proche, raisonnable ou normale par rapport à la fonction de membre de la Knesset.

La Cour suprême israélienne a statué que l’irresponsabilité vise à protéger l’essence du rôle politique, en particulier la liberté d’expression, les opinions, qui sont « l’outil » principal d’un parlementaire. Par conséquent, l’interprétation donnée à l’expression « actes commis dans l’exercice de sa fonction ou de son mandat » était étroite et exigeait qu’il s’agisse d’un acte non intentionnel ou non planifié qui a un lien avec son rôle. Il s’ensuit que les délits qui sont des infractions pénales telles que la corruption, la fraude, le vol, etc. sont en dehors de la fonction parlementaire.

La préparation même de l’acte d’accusation contre Netanyahou révèle que le procureur général – qui, rappelons-le, a le pouvoir d’ouvrir une enquête et de présenter un acte d’accusation – a décidé que les actes incriminés du Premier ministre ne jouissent pas de l’irresponsabilité et n’étaient pas du ressort de l’exercice de son mandat.

Il en résulte que si les actes commis par le parlementaire sortent du cadre de son mandat, il a encore la possibilité de demander l’immunité procédurale aux termes de laquelle il ne sera pas jugé pendant son mandat. C’est la Knesset elle-même qui confère cette immunité « procédurale ».

B. L’immunité procédurale (inviolabilité)

En plus de l’irresponsabilité, les députés jouissent de l’immunité « procédurale », qui peut les protéger contre la détention par les autorités ou contre des poursuites pénales. L’immunité procédurale est temporelle, limitée à la durée du mandat.

Avant 2005, les députés israéliens étaient à l’abri de poursuites pénales, même pour des actes et paroles en dehors de leurs fonctions, c’est-à-dire pour tout acte criminel commis. Leur immunité procédurale pouvait être levée par la Knesset, et une fois celle-ci totalement levée, les députés pouvaient être jugés comme n’importe quel autre citoyen.

En 2005, la portée de l’immunité parlementaire a été limitée à la suite d’une affaire connue sous le nom de « doubles votes » ou « affaire Gorolowsky », qui présente un intérêt particulier et éclaire non seulement les règles de l’immunité, mais aussi le contrôle juridictionnel des actes internes de la Knesset.

Le député Gorolowsky avait voté deux fois. Ce vote particulier a été annulé et présenté à nouveau. Gorolowsky a plaidé coupable, mais il a dû affronter les mesures disciplinaires de la Knesset : il a été suspendu quatre mois. Mais l’affaire n’en est pas restée là.

Après que la Knesset a sanctionné Gorolowsky de manière disciplinaire, le procureur général a décidé de l’accuser pénalement : il a demandé à la Knesset de lever l’immunité procédurale du mk Gorolowsky pour qu’il pût être jugé.

La commission de la Chambre a décidé de ne pas lever son immunité procédurale. Selon la loi sur l’immunité, cette décision est définitive en ce sens que la question ne devait pas être débattue plus avant lors de la session plénière de la Knesset. Une pétition a été déposée auprès de la hcj contre la résolution du comité et la hcj a approuvé la pétition à l’unanimité[5]. Ainsi, la hcj est entrée directement au cœur même des travaux de la Knesset pour annuler la décision du comité de la Chambre, intervenant ainsi fermement dans les affaires parlementaires.

En effet, la Cour a statué que la Knesset n’était pas autorisée à examiner les accusations pénales, pas plus qu’elle ne pouvait déterminer si le député en question avait dit la vérité ; elle n’est pas en mesure d’aborder la question des preuves suffisantes et ne doit pas créer une « politique de poursuites » spéciale pour les mk. Par conséquent, le rôle de la commission de la Chambre se limite à examiner les motifs du procureur général et à s’assurer qu’ils ne sont pas frappés de partialité ni de discrimination injustifiée.

Après la décision de la Cour, le comité de la Chambre s’est réunie une seconde fois pour lever l’immunité de Gorolowsky et a décidé, une fois de plus, de ne pas la lever, exprimant ainsi un mépris pour la décision de la hcj. Il semblait que les deux autorités se défiaient. Le public a cependant réagi violemment à la décision de la Knesset et, par conséquent, le Parlement a dû répondre à de nombreuses critiques, certaines même émanant de membres de la Knesset. Elle a répondu par une modification rapide de la loi sur l’immunité, dans une procédure particulièrement précipitée.

L’amendement a introduit une réforme des procédures, et la Knesset a renoncé aux droits à l’immunité procédurale des députés. Cela signifie que le procureur général peut déposer directement auprès du tribunal des accusations contre les députés, sans en demander l’autorisation à la Knesset. Quand le procureur général présente au président de la Knesset la copie d’un acte d’accusation relative à un député, celui-ci dispose de 30 jours pour présenter une demande écrite au président afin que le comité de la Chambre lui accorde l’immunité procédurale pour des motifs spécifiques mentionnés dans l’amendement.

Selon la modification de la loi sur l’immunité, les députés peuvent invoquer quatre « motifs ». Un député peut demander l’immunité si : (a) le délit allégué a été commis dans l’exercice de ses fonctions parlementaires ; (b) l’acte d’accusation présente des vices tels que la « mauvaise foi » ou la discrimination ; (c) l’acte allégué a été commis dans le bâtiment de la Knesset et a déjà été traité au sein de la Knesset ; (d) la poursuite causerait un préjudice au fonctionnement de la Knesset ou de l’un de ses comités, ou à la représentation de l’électorat à la Knesset (par exemple, si l’acte d’accusation traite d’un député de la minorité parlementaire) – compte tenu de la gravité de l’infraction, de sa nature ou des circonstances.

Ce sont là maintenant les considérations « légitimes » pour la commission de la Knesset. L’interprétation de ces nouveaux motifs par la hcj reste à voir, car cet amendement n’a pas encore été soumis à la hcj.

Netanyahou avait déposé une demande d’immunité le 1er janvier 2020. Dans cette demande, il écrivait que l’acte d’accusation n’avait pas été déposé de bonne foi et serait discriminatoire, de même que le déroulement de la procédure pénale porterait un préjudice réel au fonctionnement de la Knesset et à l’électorat. Il note aussi que certains de ses actes étaient de fait accomplis dans le cadre de ses fonctions.

Cependant, en raison de la structure politique de la Knesset avant les élections générales du mois de mars 2020, Netanyahou n’avait apparemment pas de majorité au sein du comité de la Knesset qui devait examiner sa demande d’immunité. Il l’a donc retiré le 28 janvier, et le jour même le procureur général a déposé l’acte d’accusation auprès du tribunal de district de Jérusalem. Le procès s’est ouvert le 24 mai 2020 et devrait se poursuivre sur une longue période. La possibilité de l’immunité procédurale n’existe donc plus.

Pendant le procès, Netanyahou pourrait toujours arguer – devant les juges du tribunal pénal – que ses actes ont été commis dans l’exercice de ses fonctions. Il est probable que cet argument sera rejeté, à la lumière des précédents juridiques qui ont interprété très strictement l’irresponsabilité liée à l’exercice de ses fonctions. Dans tous les cas, cette question peut être soulevée dans une phase préliminaire du procès, avant que le défendeur ne réponde aux charges de l’acte d’accusation.

 

III. La formation du Gouvernement

 

En Israël la procédure de formation du Gouvernement est encadrée par la loi fondamentale sur le Gouvernement, selon laquelle le processus de formation d’un gouvernement peut se dérouler en trois phases[6] :

(1) Le Président de l’État confie la formation du Gouvernement à un candidat (généralement le chef du plus grand parti) et ce candidat dispose de 28 jours pour ce faire – il peut aussi bénéficier d’une prolongation de deux semaines.

(2) Si le délai est écoulé sans que le parlementaire ne réussisse à former un Gouvernement, le Président peut alors attribuer le même mandat à un autre membre de la Knesset prêt à l’accepter. Le Président peut aussi informer la Knesset qu’il lui apparaît impossible de former un gouvernement.

(3) Si le second député ne parvient pas à former un Gouvernement ou si le Président a informé la Knesset qu’il ne voit pas de possibilité de former un gouvernement, 61 membres (sur les 120) de la Knesset peuvent, pendant une période de 21 jours, demander par écrit au Président de l’État, de confier le rôle de formation à un membre de la Knesset présenté dans la pétition.

Israël a connu trois élections en moins d’un an. La Knesset, élue le 9 avril 2019, a décidé – moins de deux mois plus tard – de se dissoudre après l’échec des tentatives du Premier ministre Benjamin Netanyahou pour former un gouvernement.

Même après les élections du 17 septembre 2019, ni Benjamin Netanyahou ni Benjamin Gantz (chef du parti Kahol-Lavan) n’ont pu former un gouvernement, et des nouvelles élections, pour la troisième fois, se sont tenues le 2 mars 2020.

Dès le début de la campagne électorale, une pétition a été déposée devant la hcj pour savoir si un parlementaire, chef d’un parti politique, poursuivi et accusé, pouvait former un gouvernement. La Haute Cour, dirigée par la Présidente Esther Hayut, a estimé que la requête était prématurée, car on ne connaissait pas les résultats des élections, mais a jugé que la question était « justiciable ».

Lors des dernières élections en mars 2020, le mandat pour former le Gouvernement a été proposé à Benjamin Gantz, qui a échoué ; le Président de l’État a alors transmis le mandat à la Knesset. Au cours de cette période de 21 jours où 61 membres de la Knesset pouvaient signer en faveur d’un candidat, Netanyahou a été proposé et a réussi à former un Gouvernement d’unité composé par 72 membres de la Knesset. C’est alors que plusieurs requêtes ont été présentées à la Haute Cour de justice – la question n’étant plus alors prématurée : c’est à la Haute Cour de déterminer si une personne accusée de délits pénaux et inculpée pouvait former un gouvernement.

Pour bien comprendre la décision de la hcj, jetons un bref coup d’œil à l’histoire des précédents existants dans le droit constitutionnel israélien.

 

IV. Le contexte historique : un aperçu de l’activisme judiciaire

 

Un débat féroce sur la question de l’activisme judiciaire était et est toujours mené en Israël et dans sa littérature constitutionnelle. Sans doute est-ce dû à ce que la Cour suprême israélienne est – ou bien était – internationalement connue pour son activisme. Ayant fonctionné sans cadre constitutionnel depuis la création de l’État d’Israël, elle a développé de nombreux outils d’intervention dans les décisions gouvernementales au fil des ans, élargissant les règles de justiciabilité, au point que la Cour s’est transformée, à bien des égards, en une instance de contrôle et de critique vis-à-vis de l’autorité gouvernementale.

Dans les premières années, toujours sous l’influence de la tradition britannique, la jurisprudence israélienne était typiquement formaliste. Le mot écrit avait une importance capitale et les solutions aux problèmes juridiques se trouvaient principalement dans les textes de lois. Mais l’approche traditionnelle et formaliste a commencé à changer au milieu des années 1980, alors que ces arguments perdaient du pouvoir et que les arguments et considérations fondés sur des valeurs gagnaient du terrain progressivement mais régulièrement, à la suite des profonds changements culturels et politiques intervenus en Israël à partir de la fin des années 1970[7]. Aharon Barak, juge de la Cour suprême de 1979 à 2006 – et aussi président de la
Cour –, a largement contribué à cette transition. Le Parti travailliste a perdu sa position à la tête du Gouvernement, les partis dans leur ensemble se sont affaiblis et les groupes extrémistes et fondamentalistes ont gagné en force, tandis que la minorité arabe a commencé à se rebeller. Cet état de fait a suscité de longs débats sur la nature culturelle d’Israël, et la Cour a souvent été appelée à intervenir et à préserver sa nature démocratique.

Après les changements constitutionnels de 1992, l’activisme judiciaire a culminé dans l’affaire Bank Hamizrahi[8], dans laquelle la Cour a déclaré qu’elle avait le pouvoir de contrôler juridiquement les lois. Déclarer que les lois fondamentales ont un statut constitutionnel, et donc que la Cour peut annuler la législation de la Knesset qui est en conflit avec ces lois fondamentales, était peut-être le sommet de la période activiste de la Cour suprême.

De même, un nouveau style de raisonnement a évolué, abordant le sens normatif des lois. L’application formaliste antérieure de la loi aux faits de chaque cas a été remplacée par des tentatives de trouver un équilibre entre des valeurs contradictoires. La « raisonnabilité » et la « proportionnalité » deviennent l’instrument principal pour superviser les décisions gouvernementales et administratives. Le but de la norme, et non son langage, est devenu primordial. Des notions telles que « l’objet de la loi », « l’esprit de la loi » et « l’intention du législateur » ont remplacé la lettre législative sèche.

Le rôle de la Cour dans l’élaboration des normes a été fortement critiqué. Les critiques ont rejeté sa volonté d’examiner chaque question sur la base des normes du « caractère raisonnable » et de la « proportionnalité » en disant que quand la Cour impose ses valeurs au système politique, cela intensifie l’antagonisme du public contre le pouvoir judiciaire et porte atteinte à la confiance du public dans le système judiciaire[9].

La Cour suprême a été particulièrement critiquée par les hommes politiques, même si le fait que le système politique ne prenne pas de décisions finales sur des questions politiques a servi de catalyseur à la multitude de pétitions déposées auprès du hcj par et au nom des députés, ce qui reflète la faiblesse de la culture politique et au même temps, renforce la position de la Cour. Il semble que dans la réalité israélienne moderne, chaque question ayant une dimension politique – de la décision sur le nombre de terroristes qui devraient être libérés dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers de guerre à une décision sur le prochain lauréat du Prix d’Israël, ou sur le trajet du mur de défense à Jérusalem – est portée devant la hcj. Ce processus a été qualifié de « judiciarisation du gouvernement ». Ainsi, lorsque la Cour rejette un recours contre la légalité d’une résolution politique, le public croit que la Cour a déclaré que la décision politique était correcte et juste, alors qu’elle a simplement choisi de ne pas intervenir face au pouvoir discrétionnaire d’une autre autorité.

Il existe de nombreux et divers exemples de jugements d’activistes israéliens. Les cas qui visaient à faire appliquer des normes éthiques à l’égard des agents publics, principalement dans les années 1990, étaient particulièrement importants, qui sont le cadre de base pour le raisonnement de la Haute Cour dans l’affaire Netanyahou.

 

V. Les décisions judiciaires des années 1990

 

Au cours des années 1990, trois affaires différentes ont établi en Israël le pouvoir de la Cour d’imposer des règles de conduite éthique au pouvoir exécutif. Cette évolution est importante pour comprendre l’affaire Netanyahou.

Le premier cas, connu sous le nom d’« affaire Eisenberg », concernait une décision du Cabinet de désigner le directeur général d’un ministère. La personne sélectionnée avait précédemment été accusée de graves infractions pénales alors qu’elle occupait un poste de premier plan au sein du Service de sécurité israélien (mais elle avait été graciée avant sa condamnation). La Haute Cour a jugé déraisonnable de nommer haut fonctionnaire une telle personne, même si celle-ci y avait officiellement et légalement droit : elle a décidé que « nous devons faire la distinction entre l’autorité légale – c’est-à-dire l’éligibilité – et le caractère raisonnable[10] ». La hcj a choisi d’intervenir et d’obliger ceux qui ont le pouvoir de nomination à prendre en considération les actions des candidats, compte tenu de la nécessité de garantir la confiance du public dans la fonction publique.

La distinction entre les exigences formelles et juridiques et le caractère raisonnable d’une affectation a ensuite été élargie et appliquée aux membres du Cabinet dans une décision unique (en termes de droit comparé). S’agissant de deux autres affaires (les affaires Der’i et Pinhasi), la hcj a déterminé que le Premier ministre devait exercer sa prérogative de révoquer un membre du Cabinet lorsque des accusations criminelles ont été déposées contre lui. L’intervention de ce tribunal israélien dans la composition du Cabinet est assez intéressante. Dans d’autres pays, la question de savoir si une personne soupçonnée d’activités illégales peut occuper un poste gouvernemental est rarement abordée par les tribunaux : elle est généralement considérée comme une question purement politique. En Israël, c’est le pouvoir judiciaire – et non le pouvoir législatif – qui interdit aux individus accusés de délits de siéger au Cabinet. Dans le premier cas considéré, le procureur général a déposé des accusations de corruption contre le ministre de l’Intérieur d’alors, Arie Der’i (président du mouvement ultra-orthodoxe Shas). Selon l’article 22 de la loi fondamentale : le Gouvernement[11], le Premier ministre peut révoquer à volonté les membres du cabinet. Yitzhak Rabin, Premier ministre alors, a choisi de ne pas exercer sa prérogative et n’a pas congédié le ministre Der’i.

Une requête a ensuite été déposée, demandant à la hcj d’ordonner au Premier ministre de révoquer le ministre en question et la Cour, dans l’une de ses décisions les plus activistes, a accepté cette requête. Le président de la hcj, Meir Shamgar, a ensuite déclaré que ce privilège se transformait en un devoir,

Cette approche présuppose que le cabinet doit servir d’exemple en matière de normes relatives aux conduites publiques. L’obligation du Premier ministre est fondée sur l’apparence publique du Gouvernement et sa capacité à donner l’exemple et à donner confiance au public.

Dans l’affaire Pinhasi[13], rendue le même jour que la décision Der’i, la Cour a également jugé que la prérogative du Premier ministre devenait un devoir si un vice-ministre restait en fonction après la décision d’entamer une procédure contre lui. Dans les deux cas, le tribunal a souligné la distinction entre compétence formelle (éligibilité) et caractère raisonnable.

La décision dans les affaires Der’i et Pinhasi est toujours valable : un ministre inculpé ne peut pas rester au Gouvernement, il doit démissionner. Elle s’applique également lors de la formation d’un nouveau Cabinet ou de la nomination d’un nouveau membre. Depuis les années 1990, chaque fois que le procureur général décide de porter plainte contre un membre du Cabinet, celui-ci démissionne. Ainsi, les normes politiques ont créé une situation où l’intervention judiciaire est peut-être le seul moyen public d’obliger un Premier ministre à destituer un ministre.

Au fil des ans, le tribunal a décidé de faire la distinction entre les membres du Cabinet et les membres de la Knesset (mk). Selon l’article 42 (a) de la loi fondamentale sur la Knesset, si un député est condamné pour une infraction pénale impliquant une turpitude morale, il doit quitter la Chambre. Mais pourquoi cette distinction entre les ministres et les députés ? Est-ce l’élection de ceux-ci qui s’oppose à la nomination de ceux-là ? Ils représentent le public qui a voté pour eux, ce qui pourrait expliquer qu’ils ne doivent pas être suspendus lors du dépôt des accusations, mais seulement après leur condamnation.

Si c’était la vraie raison de la différence entre les députés et les ministres, alors la décision de la hcj dans le cas de maires en 2013 devrait être une vraie surprise.

 

VI. Le cas des maires en 2013

 

Plusieurs mois avant les élections locales de 2013, les maires de deux villes d’Israël ont été accusés de corruption. Selon l’article 22 (a) de la loi sur les gouvernements locaux, un conseil municipal peut décider de révoquer un maire. Mais les conseils municipaux respectifs ont décidé de ne pas destituer les maires accusés, ce qui a conduit à plusieurs recours auprès de la hcj, demandant au tribunal d’ordonner aux conseils de le faire ou aux maires de démissionner. Les requérants ont aussi demandé que le tribunal leur interdise de se présenter aux élections suivantes. Les recours étaient fondés sur les principes éthiques, et, bien sûr, sur les décisions Pinhasi, Der’i et Eisenberg des années 1990.

La hcj a rendu sa décision un mois avant le jour des élections[14], ordonnant aux conseils municipaux de destituer les maires juste avant les élections. Une majorité de six juges (contre l’opinion dissidente du président de la hcj, à l’époque Asher Grunis) a ordonné la destitution immédiate de maires au motif d’accusations contre eux alors qu’ils étaient en fonction. La Haute Cour avait aussi envisagé d’interdire de se présenter aux candidats soupçonnés. Le fondement juridique de la décision de la Haute Cour se trouve à l’article 22 de la loi, qui dispose que si un conseil municipal estime que le maire se comporte de manière inappropriée, il peut lui ordonner de renoncer à ses fonctions. La juge Naor a évoqué et appliqué les décisions dans les affaires Der’i et Pinhasi et a écrit qu’elles étaient applicables non seulement aux membres du Cabinet, mais aussi aux autres élus. Pour elle, le maire a été élu par le public ; le droit d’être élu doit certes être pris en compte, mais cela n’empêche pas le tribunal d’ordonner aux conseils locaux de révoquer leurs dirigeants.

Cependant, selon la juge Naor les candidats seulement inculpés ne peuvent être interdits de se présenter aux élections. Il n’y a pas de règle légale qui permette à la hcj d’empêcher les candidats à se présenter, ce qui signifie que, s’ils sont inculpés, ils ne peuvent pas rester en fonction, mais ils peuvent se présenter aux élections !

La hcj présente aussi une situation hypothétique. Si les maires ont dû quitter leurs fonctions après avoir été inculpés, mais qu’ils soient ensuite réélus, les conseils doivent-ils les révoquer, alors que le public a élu un maire accusé ? La hcj a répondu positivement. Ainsi, que bien que la volonté des électeurs soit importante, elle n’est pas le seul élément à prendre en compte, car cela porterait une grave atteinte aux normes d’intégrité morale, aux principes fondamentaux de la démocratie et à l’état de droit.

Dans cette affaire, la Haute Cour a appliqué les règles Der’i et Pinhasi, qui traitaient de membres du Cabinet accusés, ainsi que de maires élus. Selon le raisonnement de la Cour, le fait que le public ait exprimé sa confiance en un maire accusé de délit ne lui accordait pas l’immunité contre une autre déposition : « l’électorat ne remplace pas le tribunal[15] ».

Pourtant, la décision a effectivement permis aux maires inculpés de se présenter aux élections locales. Tous les trois ont été réélus, certains remportant des victoires presque écrasantes. Peu de temps après la décision et après les élections locales, la Knesset a modifié la loi sur les gouvernements locaux par une législature accélérée et un comité spécial, dirigé par un juge, a été créé pour examiner les options de suspension des maires inculpés[16].

Ainsi selon ces précédents, un ministre accusé ne peut pas être membre du Gouvernement. Un maire élu ne peut pas rester en fonction après une mise en accusation. Alors, quelle est la situation d’un Premier ministre accusé ? Est-il « premier parmi ses pairs » ou jouit-il d’un autre statut constitutionnel ? Voici une des questions principales présentées à la Cour suprême dans le cas Netanyahou.

 

VII. La décision de la Haute Cour de Justice dans le cas Netanyahou

 

Avant la formation du nouveau Gouvernement, le 25 mai 2020, la hcj a rendu sa décision. Une formation de 11 juges a décidé à l’unanimité de rejeter les requêtes visant à empêcher que le rôle du Premier ministre soit proposé à Netanyahou[17]. Il s’agit là une décision dramatique et importante. La principale raison pour laquelle la requête a été rejetée est l’absence d’une base légale qui empêcherait Netanyahou de former le gouvernement.

La loi fondamentale : la Knesset, qui règle les conditions d’éligibilité des membres de la Knesset, indique qu’aucun obstacle ne s’oppose à ce qu’une personne accusée de délits devienne membre de la Knesset. Par ailleurs selon la loi fondamentale sur le Gouvernement, la seule condition d’éligibilité d’un candidat au poste de Premier ministre est qu’il soit député.

En plus, la loi fondamentale sur le gouvernement comprend des dispositions spécifiques qui peuvent indiquer qu’un acte d’accusation pénal n’empêche pas un Premier ministre de rester en place. Par exemple, l’article 18 dispose que la Knesset peut mettre fin aux fonctions d’un Premier ministre condamné en première instance, pour une infraction comportant la qualification d’infamie. Dans la mesure où le Premier ministre n’a pas été démis de ses fonctions, son mandat prendra fin lorsque la décision finale (après un appel) sera rendue.

Le résultat de la décision de la hcj est contraire à la logique des affaires Der’i–Pinhasi et l’affaire des maires. La plupart des juges estimaient que, bien que la jurisprudence Der’i–Pinhasi soit applicable à la fois à un candidat au poste de Premier ministre et à un Premier ministre, Netanyahou ne pouvait pas être empêché de former un gouvernement ou de le diriger. La question est de savoir pourquoi les juges n’ont trouvé aucun moyen d’appliquer le précèdent Der’i–Pinhasi. Ils ont estimé que leur intervention dans le domaine discrétionnaire politique des membres de la Knesset (pour proposer le rôle de former un gouvernement) est extrêmement étroit, même s’il existe. En conséquence, ils ont rejeté la requête.

Quant à la décision des maires, la hcj a fait une distinction entre le pouvoir discrétionnaire de la Knesset et le pouvoir discrétionnaire d’un conseil municipal, et dit que le rôle du conseil municipal est celui d’une branche exécutive, comme d’un « gouvernement ». Par conséquent, il y a une différence entre les décisions de la Knesset et les décisions du conseil municipal. En plus, il existe un article spécifique de la loi qui autorise le conseil local à révoquer le maire, et, en même temps, aucun article de loi ne traite de la question de savoir si un député accusé de corruption peut former un gouvernement.

Les juges ont largement abordé la situation très problématique dans laquelle un accusé pénal forme le gouvernement. Le juge Yitzhak Amit imagine l’histoire d’un Ruben fictif, élu Premier ministre alors qu’il aurait été disqualifié de la fonction de lecteur de compteur d’eau, de directeur du service des eaux, de chef de l’autorité locale et enfin de ministre de l’Intérieur parce qu’il a été inculpé de corruption. Le rejet des pétitions, a ajouté le juge Amit, « conduit à un résultat anormal par lequel quelqu’un qui ne peut pas servir dans une certaine position dans la pyramide peut servir au sommet de celle-ci ».

« Une réalité selon laquelle un accusé d’infractions pénales forme un gouvernement et le dirige reflète une crise sociale et un échec moral de la société et du système politique en Israël », a écrit le Juge Menahem Mazouz. Selon le juge Ouzi Fogelman, « l’imposition d’un rôle gouvernemental à celui qui est accusé de corruption et de fraude atteint la confiance du public envers ses serviteurs ». Pour la juge Anat Baron « la mise en place d’un gouvernement par une personne faisant face à un acte d’accusation grave ne correspond pas aux principes fondamentaux de la démocratie israélienne ».

Cependant, les juges ont choisi de ne pas intervenir dans la décision de proposer le rôle de former gouvernement à Netanyahou. Ils ont expliqué qu’il s’agit d’une décision politique des membres de la Knesset, dans laquelle l’intervention du tribunal est limitée. Il s’agit d’une décision politique qui reflète, en fin de compte, la volonté de l’électeur.

Selon le juge Amit, l’intervention dans la décision « est comme une collision frontale avec la volonté de l’électeur et un cauchemar constitutionnel » qui risque de créer une tourmente pour le tribunal face à la tempête politique. D’après le juge Handel :

Le juge Mintz a souligné que « la détermination qu’il n’y a pas de base légale pour intervenir dans la décision de la Knesset ne signifie pas donner l’autorisation de le faire ». Le juge Vogelman a également cherché à préciser que « lorsque la hcj refuse d’intervenir dans la décision de l’autorité, le tribunal n’a pas l’intention de dire que la décision est bonne et appropriée ».

 

VIII. Les difficultés de la décision – une brève approche critique

 

Enfin, les juges de la Haute Cour de Justice comprennent que la décision ainsi que l’interprétation de la loi soulèvent des « difficultés ». Quelles sont-elles ? Le tribunal ne les énumère pas, mais les juges le savent bien. Lorsqu’un Premier ministre est accusé de corruption et reste en place, il est difficile d’espérer le respect de la déontologie et des normes appropriées dans l’administration de l’État.

La décision unanime de 11 juges est particulièrement surprenante. Pas une seule opinion dissidente. Pas un seul juge n’a pensé que la situation dans laquelle un Premier ministre accusé forme le gouvernement ne puisse pas exister dans un État démocratique.

Le raisonnement formaliste de la décision présente une base factuelle problématique. La lecture textuelle de la loi fondamentale est très éloignée de la glorieuse jurisprudence des années 1990 en Israël. Bien que la Cour déclare que les arrêts de Der’i et Pinhasi – qui reposent principalement sur les valeurs de l’éthique publique – sont toujours valables, ils ne s’appliquent pas au cas d’un Premier ministre.

La Cour déclare qu’il existe une possibilité très limitée d’intervenir dans le pouvoir discrétionnaire des membres de la Knesset. Mais ce n’est pas le cas pour cette intervention. Il nous semble très difficile de saisir en quoi les circonstances de l’affaire Netanyahou – la gravité des infractions imputées, leur lien avec la fonction de Premier ministre, leur durée et leur caractère systématique – n’ont pas constitué une exception dans laquelle le tribunal pouvait intervenir.

Certains juges décrivent de façon plus approfondie la signification et la gravité des infractions dont Netanyahou est accusé. Mais le tribunal a attaché un poids décisif et écrasant à la volonté de l’électeur. C’était comme si nous parlions d’une élection personnelle pour le Premier ministre, ce qui n’est pas le cas en Israël.

Au-delà de cela, un Premier ministre accusé pose un grave problème de conflit d’intérêts, que la Cour suprême aurait pu traiter et même résoudre. Il a été décidé dans le passé que des situations graves de conflit d’intérêts peuvent conduire à la « prévention » du maintien en fonction[18]. Cependant, la crainte d’une utilisation abusive de l’énorme pouvoir gouvernemental qui lui a été confié n’est guère abordée.

La grande majorité des juges ont écrit à propos de la distinction entre les normes juridiques et les normes morales-publiques. Ils ont même souligné qu’ils n’accordent pas le statut « casher » à un Premier ministre accusé et que la décision ne traite que de l’intervention de la Haute Cour. Mais le résultat de la décision – spécialement pour le public en Israël – est que la non-intervention est essentiellement l’approbation de la candidature de Netanyahou.

En cas d’échec du système constitutionnel, la Cour n’a pas un rôle correctif – c’est peut-être le sens principal de l’arrêt. Une telle approche est contraire à l’ancienne jurisprudence. La hcj ne traite pas du tout du devoir de l’exemple personnel et de ses conséquences. Il semble que la règle de Der’i–Pinhasi, bien que confirmée, n’est pas appelée à application à l’avenir si elle ne concerne que les niveaux inférieurs de la pyramide, sans compter son sommet. Il se peut que la cour elle-même soit affectée, ces dernières années, par le déclin des normes éthiques – publiques et de culture politique problématique.

Les juges ont souvent utilisé de grands mots pour décrire la décision selon laquelle les membres de la Knesset soutiennent un candidat pour former le gouvernement – « une décision gouvernementale unique qui est au cœur du champ politique », « une décision constitutionnelle claire […] de nature infrastructurelle, constitue la plate-forme elle-même, c’est-à-dire la forme le gouvernement ». Voici peut-être une bonne raison pour s’abstenir d’intervenir. Mais on ne sait pas pourquoi la Haute Cour ne s’est pas concentrée sur la personne de Netanyahou, et sur son consentement pour accepter la candidature. Le tribunal aurait pu l’obliger personnellement à ne pas se présenter aux élections, ce qui aurait résolu la question de l’intervention à la discrétion des membres de la Knesset. Le raisonnement de l’arrêt sur ce point n’est pas convaincant.

Le juge Amit craint un cauchemar constitutionnel qui aurait pu frapper la Cour face à la tempête politique – s’il avait décidé d’intervenir. Ce peut être une explication – non juridique – de la décision de la Cour : la légitimité (pas seulement la légalité) du jugement.

 

IX. Le jour d’après : un nouveau gouvernement et des nouvelles questions constitutionnelles

 

Après le rejet par la Cour Suprême du recours contre la formation du gouvernement par Netanyahou – un nouveau gouvernement de « parité » et de « rotation[19] » – a été formé avec Netanyahou comme Premier ministre. Celui-ci pose de nouvelles questions constitutionnelles inédites en Israël.

La première d’entre elles est la question du conflit d’intérêts dans lequel se trouve un Premier ministre : il dirige le pays en tant que chef de l’exécutif tout en étant accusé d’actes de corruption par ailleurs. Spécialement face aux attaques sans précédent lancées par le Premier ministre et son parti politique contre le système judiciaire, contre le procureur général et contre l’avocat qui dirige le cas pénal de Netanyahou.

La deuxième question concerne la possibilité que Netanyahou soit déclaré « empêché » (incapacité) de poursuivre sa fonction – dès le début de son procès criminel, en janvier 2021.

Bien qu’il s’agisse apparemment de deux questions différentes, dans le cas du procès Netanyahou, il existe un lien entre elles.

A. « Le mandat de Netanyahou en tant que Premier ministre est soumis à un règlement de conflit d’intérêts »

La règle interdisant un conflit d’intérêts comprend le principe selon lequel un agent public doit s’abstenir d’être dans un état « préjugé » ou d’impartialité par un conflit entre la nécessité de remplir son rôle public et un intérêt privé susceptible de nuire à sa capacité d’exercer cette fonction.

Deux justifications sous-tendent cette règle : premièrement, permettre à l’autorité de nomination de se pencher sur les questions qui empêchent un candidat au poste de s’engager dans un conflit d’intérêts ; la deuxième est d’éviter une situation dans laquelle une personne est nommée à un poste alors qu’elle est en conflit d’intérêts sans que l’affaire soit réglée, et par conséquent, on craint qu’elle n’agisse non pas conformément à l’intérêt public, mais dans son intérêt personnel.

Dans la décision de la hcj dans l’affaire Netanyahou, la question du conflit d’intérêts n’a pas du tout été discutée. Le tribunal s’est contenté du fait que le procureur général avait promis de régler, par écrit, la question des conflits d’intérêts de Netanyahou :

De nombreux mois ont passé, Netanyahou n’a ni signé ni publié un tel accord. Le procureur général a transmis à Netanyahou un accord pour la prévention des conflits d’intérêts, dans lequel il lui interdit de traiter des questions concernant l’exécution des lois ainsi que la nomination des juges.

Netanyahou a répondu que c’est le procureur général qui aurait outrepassé ses pouvoirs et se serait placé en situation de conflit d’intérêts en décidant de déposer un acte d’accusation contre lui.

L’accord sur les conflits d’intérêts finira par se faire, et, conformément aux lignes directrices du procureur général, il sera publié.

B. L’empêchement (intérim ou incapacité)

Du point de vue de la Cour suprême, toute personne accusée d’un délit peut former un gouvernement et le diriger. Alors, la question suivante est évidente : un Premier ministre accusé d’un délit, appelé à se présenter devant le tribunal pénal trois fois par semaine, peut-il continuer à servir ou doit-il être déclaré « empêché » de poursuivre sa fonction ?

Cette question, comme les précédentes, ne s’est jamais posée dans le droit constitutionnel israélien. La loi fondamentale du gouvernement dispose que si « le Premier ministre est empêché de remplir ses fonctions, la personne assurant l’intérim remplira le rôle de Premier ministre[21] ».

La loi fondamentale distingue entre un empêchement « temporaire » – 100 jours seulement – auquel cas le Premier ministre par intérim est son remplaçant, et, une situation d’empêchement « permanent » – à la fin des 100 jours. Dans ce cas, le 101e jour, le Gouvernement est considéré comme démissionnaire et doit alors nommer un autre ministre, qui sera le « Premier ministre actuel » – jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement.

En 2006, le Premier ministre Ariel Sharon a été victime d’un accident vasculaire cérébral, il était alors clair pour tous que le Premier ministre était, au moins temporairement, incapable de remplir son rôle. En fonction de considérations médicales évidentes, le procureur général a annoncé l’empêchement du Premier ministre. Cependant, le cas d’Ariel Sharon n’est pas comparable à celui de Netanyahou.

En 2008, la Cour suprême, suivant un recours du journaliste Yoav Yitzhak contre le Premier ministre Ehud Olmert, a décidé que le procureur général était autorisé, en principe, à déclarer le Premier ministre empêché de poursuivre ses fonctions : pour cela, il faut que le maintien du Premier ministre en fonction compromette la possibilité d’une enquête pénale contre lui. En l’occurrence, pour Olmert, la Cour a jugé que ce n’était pas le cas[22]. La hcj écrit que :

Dans l’arrêt principal concernant la formation du gouvernement de Netanyahou, la question de l’empêchement n’a pas été abordée. La position du procureur général était à l’époque qu’un acte d’accusation contre un membre de la Knesset n’établit pas de fondement juridique pour l’empêcher de former le gouvernement et, par conséquent, n’établit même pas d’obstacle juridique à la formation d’un gouvernement dirigé par lui.

Cela veut dire que, selon le procureur général, le devoir de se rendre au tribunal pénal ne cause pas un « empêchement technique » du Premier ministre. Mais en juillet 2020, le mouvement pour la qualité du gouvernement a demandé au procureur général de déclarer l’empêchement du Premier ministre. Le procureur général a répondu

Selon l’argument discuté récemment dans l’arène publique, Netanyahou abuse de son statut pour son propre bénéfice, ce qui pourrait constituer un « empêchement substantiel ». Une telle distinction, entre un empêchement « technique » et un empêchement « substantiel » n’a pas été examinée jusqu’à présent dans la jurisprudence israélienne. Le fait que le Premier ministre, même directement et aussi par des membres de son parti politique, mène une campagne contre les autorités chargées de l’exécution des lois, contre le procureur général et contre les témoins qui déposent contre lui est largement problématique. Le conflit d’intérêts entre Netanyahou l’accusé et Netanyahou le chef de l’exécutif, qui est responsable des forces de l’ordre, est patent. Mais la question est toujours de savoir s’il s’agit d’un problème « juridique » – qui nécessite d’une annonce d’empêchement temporaire- ou qu’il s’agit d’un problème « politique », à traiter et à décider par les acteurs politiques.

 

Épilogue
Un scénario imaginaire : Un député accusé de corruption peut-il se porter candidat pour la Présidence de l’État ?

 

Cet article s’ouvre avec une question qui semble sortie d’un questionnaire d’examen de droit public. Nous le terminerons par une autre question, liée à l’analyse faite dans l’article et qui, elle aussi, conviendrait pour un tel examen. Une personne accusée d’un délit accusé peut-elle être élue Président d’Israël[24] ?

La question de savoir qui peut être candidat à la Présidence est essentiellement similaire à la question qui s’est posée dans l’affaire Netanyahou. Même si l’idée est impensable, il convient de bien examiner les qualifications formelles du président. Selon la loi fondamentale sur le Président, tout ce qu’il faut pour être candidat, c’est être « citoyen et résident[25] ».

L’absence de référence aux conditions d’éligibilité exigées d’un Président permet de conclure que le législateur n’a pas jugé nécessaire de préciser quelles sont les conditions d’éligibilité. La fonction même et ses pouvoirs sont ceux qui nous montrent les qualités requises d’un Président. En effet, la loi fondamentale laisse supposer que le Président est une personnalité de grande envergure, une personne représentative de l’État, apolitique et de surcroît dotée d’une morale infaillible. Par conséquent et à partir de ce constat, il devient clair et évident qu’il n’est pas utile de définir les compétences et les aptitudes spécifiques à la fonction de Président.

Mais imaginons un événement hypothétique[26] : le Premier ministre Netanyahou cherche à se présenter à la Présidence de l’État, tout en étant accusé de délits dont le procès est en cours. Les membres de la Knesset votent à bulletins secrets pour décider qui sera le Président. Supposons que la majorité des membres de la Knesset accepte d’élire Netanyahou à la Présidence, en échange de la renonciation au trône du Premier ministre.

Dans ce cas-là, il y a une grande différence entre un Président et un Premier ministre : contrairement à un Premier ministre, qui peut être jugé pendant son mandat, le Président bénéficie de l’immunité procédurale (inviolabilité) et ne peut pas, durant son mandat, être poursuivi en justice pour délit pénal, par exemple, délit de corruption. Cette clause s’applique qu’il s’agisse d’un délit commis durant son mandat et en dehors de tout lien avec l’exercice de sa fonction ou qu’il s’agisse d’un délit avant son entrée en fonction. En Israël, on ne peut pas engager une action ou une poursuite contre le Président pendant la durée de son mandat[27].

Cela signifie pour Netanyahou – dans cet exemple hypothétique – que c’est la cessation des poursuites pénales contre lui, pour une période de sept ans. Et ici, bien sûr, se pose la question de savoir s’il sera légalement possible d’empêcher sa candidature.

La hcj a déjà répondu, dans l’affaire Netanyahou, à la question de la formation du gouvernement par une personne accusée de graves délits :

Dans un tel cas, on pourrait imaginer un recours à la hcj, similaire à celui de l’affaire Netanyahou, demandant une intervention de la Haute Cour. Sera-t-il possible d’intervenir relativement au pouvoir discrétionnaire des membres de la Knesset dans cette affaire imaginaire, afin de les empêcher de voter pour lui ? Ou s’ils avaient déjà fait le choix – pour annuler le vote ? Si nous regardons bien les déclarations des juges concernant l’intervention relative au jugement discrétionnaire des membres de la Knesset, on lit :

Et s’il n’y a pas une telle cause lorsqu’il s’agit de former un gouvernement, y aurait-il une telle cause lorsqu’il s’agit de l’élection – secrète–  d’un candidat à la présidentielle[30] ?

Cet exemple hypothétique semble éclairer un autre aspect de la nature problématique du jugement. Sera-t-il possible d’utiliser également le raisonnement de la décision pour d’autres cas ? Le refus d’intervenir quant au pouvoir discrétionnaire des membres de la Knesset s’applique-t-il uniquement au cas d’une composition gouvernementale ou à d’autres cas dans lesquels leur décision personnelle est requise (élection d’un président, élection d’un contrôleur d’État, etc.) ? Il reste à voir comment cette décision sera interprétée à l’avenir.

C’est vrai que les questions que nous avons analysées dans cet article sont presque uniques. Lorsque la culture du gouvernement est faible et que les normes déontologiques sont faibles, il est peut-être naturel de se tourner vers le système judiciaire pour qu’il corrige les échecs découverts. Ainsi, ces questions sont devenues des questions « juridiques » et « constitutionnelles » au lieu d’être résolues dans le système public et politique.

Nous terminerons par les paroles du juge Cheshin, ancien Vice-Président de la Cour Suprême en Israël :

 

Suzie Navot

Professeure à l’École Stricks de Droit, Rishon Lezion (Israël).

 

Pour citer cet article :
Suzie Navot «L’affaire Netanyahou. Un Premier Ministre accusé et plusieurs dilemmes constitutionnels non résolus », Jus Politicum, n° 26 [https://www.juspoliticum.com/article/L-affaire-Netanyahou-Un-Premier-Ministre-accuse-et-plusieurs-dilemmes-constitutionnels-non-resolus-1425.html]