Aux États-Unis, la liberté de manifestation est une liberté constitutionnelle dont le fondement juridique est celui de la liberté de « rassemblement pacifique » et dont le régime juridique répond essentiellement à celui de la liberté d’expression. La manifestation, conçue comme une « expression agissante », est bien une liberté, alors qu’en France elle est bien davantage est un droit.

In the United States, the freedom of demonstration or assembly is a constitutional liberty whose legal basis is the freedom to « peaceful assembly » and whose legal regime essentially responds to that of freedom of expression. The demonstration, conceived as an « active expression », is a freedom, whereas in France it is much more a right.

La liberté de manifestation interroge le fonctionnement effectif du régime démocratique, « seul régime politique tragique […] qui affronte ouvertement la possibilité de son autodestruction[1] ». En effet, un tel régime doit, sauf à s’autodétruire, se défendre contre ses ennemis ou ses opposants, mais il ne peut le faire, sauf à se renier, en dehors des valeurs d’ouverture et de liberté qui fondent son existence même. Dans cette perspective, le phénomène de la manifestation se présente comme une sorte de cas limite de nature à éprouver son essence. Si le régime démocratique est ultimement fondé sur l’acceptation des conflits inhérents aux sociétés humaines, mais cherche à les encadrer, pour les modérer, dans des dispositifs juridiques, notamment constitutionnelles, la manifestation, qui est une forme non institutionnelle d’expression des conflits, par nature imprévisible, menace de réintroduire la violence inhérente au conflit en dehors du cadre dans lequel on cherche précisément à l’enfermer. Dans une société démocratique, la liberté de manifestation ne peut donc se défaire, a priori, d’une nature ambivalente : tout autant un droit fondamental qu’une menace fondamentale. Une telle nature semble d’ailleurs décider de sa relative précarité, d’abord en termes de statut juridique explicite, mais aussi et peut-être surtout en termes d’exercice effectif[2].

Cette tension irréductible – droit fondamental / menace fondamentale – est partout la même, sans qu’elle reçoive pour autant des traitements juridiques tout à fait identiques selon les pays, et sans qu’elle soit perçue de manière identique chez les citoyens. On a ainsi pu noter l’incompréhension de nombreux Américains devant l’exercice français des libertés publiques, et singulièrement de la liberté de manifestation. En effet, dans un pays où l’on peut se revendiquer et manifester publiquement, bras tendu et croix gammée en bandoulière, en faveur de la suprématie de la « race blanche », comme le 18 juillet 2015 en Caroline du Sud, les nombreuses interdictions de manifestation en France, depuis la « marche républicaine » du 11 janvier 2015, ne pouvaient que susciter une grande perplexité.

Comment comprendre la notion de manifestation ? Il suffit ici de fixer un cadre notionnel général assez souple. On peut retenir avec Olivier Fillieule qu’il s’agit d’« une occupation momentanée par plusieurs personnes d’un lieu ouvert public ou privé et qui comporte directement ou indirectement l’expression d’opinions politiques[3] ». Cette conception qui repose sur la notion d’« occupation » d’un espace, en fait surtout public, et n’implique pas nécessairement l’idée de mouvement, convient bien à l’approche américaine du phénomène de la manifestation, comme on le verra.

La manifestation n’est pas l’apanage de la France. Au pays de la « destinée manifeste », la manifestation fait aussi partie intégrante de l’histoire politique et sociale. On peut même considérer qu’elle lui est constitutive, puisque ce que l’histoire a retenu sous l’expression de « The Boston Tea Party » s’apparentait bien moins à une « Party » qu’à une véritable manifestation. Reste que la manifestation, comprise comme un mode récurrent d’expression, est relativement récente et date des années 1930 : que l’on songe, par exemple, à la grande « marche » sur Washington en août 1963 (March on Washington for Jobs and Freedom) ayant réuni plusieurs centaines de milliers de personnes et à l’occasion de laquelle Martin Luther King prononça son fameux discours « I have a dream » devant le Lincoln Memorial, ou encore, plus proche de nous, à la March for Women’s Lives du 25 avril 2004 qui a réuni plus d’un million de manifestants en défense des droits des femmes[4]. De nos jours, le nombre de manifestations par an à Washington DC se compte en milliers[5].

Aux États-Unis comme en France, la liberté de manifestation demeure encore largement un angle mort de la recherche scientifique, notamment en droit[6]. En France, l’ouvrage pionnier sur le phénomène de la manifestation date de 1990[7]. Si, à cette occasion, Michel Offerlé peut soutenir que « l’objet manifestation demeure un objet mal constitué et traité avec insignifiance par rapport aux formes légitimes de la compétition politique[8] », force est de constater que les recherches se sont désormais développées[9], même si le prisme dominant reste sociologique et que l’approche en est, en conséquence, souvent polémique, voire partisane, c’est-à-dire que l’histoire des manifestations se réduit à une histoire des luttes. Les juristes, quant à eux, sont largement en retrait[10], même s’il ne serait plus possible aujourd’hui de voir dans la liberté de manifestation une simple « tolérance administrative[11] ». Aux États-Unis, le constat est globalement similaire, même si la situation évolue également[12]. John D. Inazu en parle néanmoins encore comme d’une « liberté oubliée » et ne manque pas de souligner la « faiblesse du discours juridique et politique » relatif à cette liberté, d’ailleurs intégrée à la liberté de « rassemblement » (assembly), dans un pays qui « attache autant d’importance au Bill of Rights en général et au Premier amendement en particulier[13] ».

Les libertés publiques, comprises comme illustrant principalement les rapports juridiques entre l’État et l’individu, ouvrent une grille de lecture élémentaire qui consiste à discriminer la France des États-Unis en considérant que chez les seconds, la liberté d’expression, incluant la liberté de manifestation, est plus radicale et absolue que chez la première. En d’autres termes, aux États-Unis la manifestation serait considérée comme un absolu, là où en France, et certainement plus largement en Europe, elle ne serait qu’une liberté relative, toujours en demeure de se plier aux injonctions de « l’ordre public ». Ce serait une manière de rendre compte d’un préjugé selon lequel la liberté de l’individu aux États-Unis n’a pas, ou peu, à transiger avec l’État, tandis qu’en France les préoccupations régaliennes sont toujours là pour s’imposer à l’individu et à ses libertés. Et, en effet, en France, le droit de manifestation ne présente, a priori, guère de particularisme juridique : une liberté fondamentale, d’ailleurs récente, gérée par l’administration, sous le contrôle du juge, et devant se concilier avec la protection de l’ordre public, « objectif de nature constitutionnelle », comme nous l’a appris le Conseil constitutionnel[14].

Peut-on alors valider cette idée selon laquelle la liberté de manifestation entendue comme un corolaire de la liberté d’expression est, pour reprendre l’opposition suggérée par Élisabeth Zoller[15], un « bien sacré » aux États-Unis, là où elle ne serait qu’un « bien précieux » en Europe, et notamment en France ?

Pour tenter d’esquisser une réponse à cette question et donner quelque consistance à notre traitement de la liberté de manifestation aux États-Unis, en contre-reflet de l’approche française[16], on dégagera deux lignes de lecture élémentaires : une approche théorique (I) et une approche pratique (II).

 

I. Approche théorique de la liberté de manifestation aux États-Unis

 

Dans les imaginaires collectifs, tandis que la France est, selon la formule consacrée, « la patrie des droits de l’homme », les États-Unis apparaissent comme « le pays de la liberté d’expression », dont précisément la liberté de manifestation constitue une des formes. Pour le comprendre, on partira d’une présentation du cadre général de la liberté de manifestation (A), avant d’apprécier les fondements particuliers de cette liberté aux États-Unis (B).

 

A. Le cadre général de la liberté de manifestation

Nous structurerons nos développements en distinguant deux questions différentes, mais complémentaires : la saisie notionnelle (1) et la saisie juridique de la liberté de manifestation (2).

 

1. La saisie notionnelle de la liberté de manifestation

Il faut dire, avant toute chose, que le passage du français à l’américain est souvent problématique. Pour notre objet spécifique, les termes renvoyant à l’idée de manifestation aux États-Unis sont les suivants : march, assembly, demonstration, parade, etc. Le terme de « demonstration », le plus marqué politiquement avec celui de « march », semble à tout prendre le plus proche, dans le vocabulaire courant, de celui de manifestation, tandis que le vocabulaire juridique penche plutôt pour le terme d’« assembly ». Le droit ou liberté de manifestation se traduit ainsi en anglais par freedom ou right of demonstration ou assembly.

Avant de revenir plus avant sur le lien entre la liberté de manifestation et le droit de réunion, ou plus exactement ici de rassemblement (assembly), partons du constat que la forme de la manifestation, au sens le plus commun, n’est pas exactement la même en France et aux États-Unis. La majorité des « manifestations » aux États-Unis n’implique guère de mouvement, mais prend plutôt la forme du « picketing », soit la méthode du « piquet » où des manifestants restent sur place ou se déplacent de façon circulaire, le plus souvent avec des pancartes et en criant des slogans, alors qu’en France, la manifestation prend la forme d’un déplacement et implique donc un mouvement[17]. Aux États-Unis, on intègre d’ailleurs dans les manifestations les sit-in (ou sit-down), terme utilisé en référence aux grèves de 1936-1937 dans l’industrie automobile américaine[18]. Comme on le voit, même conçue comme ici en un sens limité, l’approche américaine de la manifestation ne s’épuise pas dans l’image la plus commune pour un Français d’un cortège de personnes déambulant sur la voie publique en scandant des slogans[19]. La manifestation se présente comme un mode de protestation – le terme anglais de « protesters » l’évoque – à l’instar du droit (ancien) de pétition ou encore du droit (plus récent) de grève.

Nous l’avons dit, le terme anglais de « demonstration » est donc certainement le plus proche de celui de manifestation, avec celui d’« assembly ». Ce droit de « rassemblement pacifique » (peaceable assembly) qu’Abraham Lincoln a décrit comme un « substitut constitutionnel à la révolution[20] », la Cour suprême, dans son opinion United States v. Cruikshank de 1875, l’a considéré comme « un droit apparenté à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, et […] également fondamental[21] ». Le terme anglais « assembly », que nous préférons traduire par « rassemblement » plutôt que par « réunion[22] », est aussi utilisé pour désigner des manifestations[23]. Une grande partie de la doctrine américaine fait d’ailleurs valoir qu’un « droit de rassemblement (assembly) pacifique étendu est un élément vital dans le maintien du processus démocratique[24] ». Selon la Cour suprême elle-même, la liberté de se rassembler (freedom of assembly) est inhérente à la forme républicaine du gouvernement. Dans son opinion Dejonge v. Oregon de 1937, la Cour suprême renvoie en effet à l’opinion United States v. Cruikshank précitée, et juge que « l’idée authentique du gouvernement républicain implique le droit de ses citoyens de se rassembler pacifiquement (meet peaceably) afin de se consulter à propos des affaires publiques et afin d’adresser des pétitions [au gouvernement] pour qu’il répare ses torts[25] ». Dans son étude comparative, Orsolya Salat a dû se frotter à ces difficultés sémantiques et a fini par faire de la « manifestation » une des trois formes du « right of assembly » avec la réunion et l’attroupement[26]. Ces difficultés réelles pour saisir la notion découlent notamment du silence des textes juridiques relativement à la liberté de manifestation.

 

2. La saisie juridique de la liberté de manifestation

Il faut constater que cette liberté semble rétive à toute formalisation juridique textuelle, dans la mesure où elle n’apparaît pas davantage dans les textes constitutionnels français que dans le Bill of Rights américain. En France, c’est dans sa décision du 18 janvier 1995 que le Conseil constitutionnel a relié la liberté de manifester sur la voie publique « aux exigences de la liberté individuelle, de la liberté d’aller et venir et du droit d’expression collective des idées et des opinions[27] ». La liberté de manifestation semble donc être rattachée, au moins en partie, à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais il nous paraît aventureux de penser que le Conseil constitutionnel se soit inspiré de la jurisprudence de la Cour suprême[28], tant cette locution d’« expression collective des idées et des opinions » nous semble d’un maniement délicat.

Quoi qu’il en soit et au-delà du jeu des influences[29], la conception française telle qu’elle découle de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et plus largement la conception européenne telle qu’elle découle de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme reconnaissent bien que les lois peuvent restreindre la liberté d’expression, là où le Bill of Rights américain en rejette la possibilité même en indiquant : « no law ». En effet, rappelons-le, aux termes du Premier amendement du Bill of Rights : « Le Congrès ne fera aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice ; ou restreignant la liberté de parole ou de la presse ; ou le droit du peuple de se rassembler pacifiquement, et d’adresser des pétitions au gouvernement pour qu’il répare ses torts ». On ne doit pas se méprendre sur la portée originelle de cette interdiction, certes impressionnante. À l’origine, il s’agit moins de l’affirmation de l’absoluité de certaines libertés (liberté religieuse, liberté d’expression, etc.), que de la fixation d’une règle de répartition des compétences en matière d’expression, au sens le plus large du terme, entre l’État fédéral, qui ne pouvait faire « aucune loi » limitant ou modérant ce domaine des libertés, et les États fédérés, à qui revenait donc la compétence de le réglementer. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1925, dans son opinion Gitlow v. New York[30], que la Cour suprême va décider d’étendre les prescriptions du Premier amendement aux entités infra-fédérales (États fédérés et municipalités) en jugeant que cet amendement est « incorporé » – doctrine dite de « l’incorporation » (incorporation doctrine) – dans la liberté garantie par la clause du Due Process du Quatorzième amendement[31]. Il en découle néanmoins que le gouvernement fédéral, dont les pouvoirs sont, en théorie du moins, énumérés, n’a en principe aucune compétence pour restreindre la liberté de manifestation. A contrario, les entités infra-fédérales disposent de la plénitude des pouvoirs de police et peuvent donc en réglementer l’exercice, dans le respect des dispositions constitutionnelles qui s’imposent à eux.

Faute de consécration textuelle explicite, c’est bien la Cour suprême qui a été amenée à donner une forme et une consistance juridiques au phénomène de la manifestation, dont on a déjà dit qu’il avait pris une réelle ampleur à partir des années 1930. Elle ne pouvait le faire qu’en rattachant cette « virtuelle » liberté de manifestation à d’autres libertés textuellement consacrées. La généalogie de sa jurisprudence nous donne donc de précieuses indications. Contrairement à la France, il est cependant difficile de discerner la première opinion de la Cour suprême qui consacre explicitement la liberté de manifestation. Les raisons en sont diverses. Elles tiennent, notamment, à « l’effroyable complexité de la jurisprudence de la Cour sur le Premier amendement[32] », mais aussi à la dilution conceptuelle de la liberté de manifestation et plus précisément à l’indétermination de son autonomie vis-à-vis de la liberté d’expression. Cette indétermination ne concerne d’ailleurs pas seulement la liberté de manifestation, mais aussi d’autres libertés, à l’instar de la liberté de la presse qui n’est guère singularisée par la Cour suprême. Il faut bien reconnaître que, par sa nature même, la manifestation peut se rattacher au droit de réunion ou de rassemblement, dont elle constitue une forme particulière, à la liberté de circulation qui la conditionne, à la liberté d’expression qu’elle illustre, etc. En d’autres termes, la liberté de manifestation est par nature entremêlée à d’autres libertés. Ce constat explique, en partie, qu’il n’existe pas de jurisprudence « pure » de la Cour suprême dans laquelle la liberté de manifestation jouisse d’une reconnaissance constitutionnelle en tant que telle. Cet état de fait et de droit laisse un sentiment d’incertitude. Cette incertitude, essentiellement théorique, se dissipe néanmoins si l’on différencie le support et le régime juridiques de cette liberté.

En effet, nous soutenons ici que le régime juridique de la liberté de manifestation est celui qui découle de la liberté d’expression, mais que son support juridique relève originellement de la liberté de rassemblement (pacifique). Il semble bien que la première reconnaissance quelque peu autonome de la liberté de manifestation dérive de l’opinion de la Cour suprême Cox v. State of New Hampshire[33] de 1941. En l’espèce, la Cour suprême subordonna une « parade » dans les rues à l’octroi d’une autorisation. Il est symptomatique de constater qu’en 1954 André et Suzanne Tunc citent certes cette opinion, mais relient la liberté de manifestation à la liberté de rassemblement pacifique[34], et non, comme on pourrait s’y attendre aujourd’hui, à la liberté d’expression. Ils semblent qu’ils aient eu raison, car ce n’est qu’ensuite que s’est opérée une confusion entre le fondement juridique de la liberté de manifestation (la liberté de rassemblement pacifique ou droit de réunion) et son régime juridique (la liberté d’expression). Le tournant se réalise, à notre sens, au début des années 1960 avec les manifestations relatives à la ségrégation raciale. C’est précisément le moment où la Cour Warren va donner au Premier amendement une portée très large. La stricte liberté du discours (speech), consacrée par le Premier amendement, sera alors comprise comme une large liberté d’expression, intégrant des formes d’expression autres qu’écrite ou parlée. Pour ce qui nous intéresse ici, cette évolution conduira la Cour suprême à pouvoir reconnaître une expression qui n’est ni écrite, ni parlée, mais que l’on peut qualifier d’agissante. En d’autres termes, le régime juridique de la liberté de manifestation s’inspirera fortement, sans s’aligner tout à fait, comme nous le verrons, sur celui de cette « liberté-mère » qu’est la liberté d’expression[35]. On peut le discerner, par exemple, dans une affaire où deux cents étudiants noirs manifestaient dans les rues en Caroline du Sud contre la ségrégation raciale. Bien que manifestant de façon pacifique, ils furent reconnus coupables par les pouvoirs publics d’avoir troublé l’ordre public. La Cour suprême, dans son opinion Edwards v. South California de 1963[36], annula ces condamnations en considérant que « les circonstances d’espèce reflètent un exercice des droits constitutionnels fondamentaux dans leur forme la plus primitive et classique » et jugea que les autorités publiques ne pouvaient criminaliser « l’expression pacifique des opinions [même] impopulaires ». Mais c’est bien dans l’affaire Cox v. Louisiana de 1965 précitée, que la Cour suprême va considérer la manifestation comme une forme particulière d’expression en la qualifiant expressément de « forme d’expression mêlée de comportement[37] ».

Notons, enfin, que la liberté de manifester emporte logiquement celle de contre-manifester. En d’autres termes, les contre-manifestants ont le droit d’exprimer leur désaccord avec les manifestants, même si on ne trouve trace de la notion de contre-manifestation que dans une seule décision de la Cour suprême[38].

La conception de l’expression aux États-Unis n’est pas unitaire, mais catégorielle. La manifestation se range dans la catégorie des « expressive conduct » (piquet de grève, manifestation, distribution de tracts ou de pamphlets, sit-in, porte à porte, etc.) ou « free speech activity », qui semble se distinguer elle-même du « symbolic speech » – ou « symbolic conduct » –, même si on les confond le plus souvent. En effet, la manifestation en tant que telle ne semble pas constituer une « expression symbolique », même si elle est de nature à susciter de telles expressions : le fait pour des Noirs de se livrer à des « sit-in » dans des zones réservées aux Blancs afin de dénoncer la ségrégation raciale[39], ou encore le fait de brûler le drapeau américain lors d’une manifestation politique contre la prolifération des armes nucléaires[40]. La manifestation aux États-Unis, c’est donc une expression agissante : « quand faire, c’est dire[41] ». Découlant d’elle, c’est bien dans la liberté d’expression que la liberté de manifestation trouve ses fondements.

 

B. Les fondements particuliers de la liberté de manifestation

Nous différencierons ici simplement le fondement juridique (2) des fondements intellectuels (1).

 

1. Les fondements intellectuels

La conception attractive et englobante de la liberté d’expression aux États-Unis doit conduire à reconnaître à la liberté de manifestation des fondements identiques. Selon l’approche la plus commune, trois « théories » distinctes justifient, en se distinguant autant qu’en se superposant, son importance : une théorie de la démocratie, une théorie de la vérité et une théorie du sujet.

Tout d’abord, la liberté d’expression favorise la vitalité de la société démocratique dans son ensemble[42]. La Cour suprême souligne à cet égard que le Premier amendement est « le gardien de la démocratie[43] ». La liberté d’expression est liée au régime démocratique par la participation des individus qu’elle implique. Il est vrai que « même si la coïncidence est loin d’être absolue, il y a au moins une corrélation entre l’aspiration à une société démocratique, ou sa naissance, et le développement d’une liberté d’expression politique[44] ». La légitimité de l’État démocratique se concrétise principalement par la liberté d’expression. Dit différemment, la liberté d’expression est l’une des conditions nécessaires, voire décisives, de la légitimité démocratique. Ainsi, toute interdiction de celle-ci doit être exclue par principe, car toute autre position abandonnerait au gouvernement le contrôle des institutions culturelles et en ferait un censeur[45], porteur d’une vérité d’État.

Ensuite, la liberté d’expression est une condition indispensable du parcours qui mène à la vérité[46]. Selon les termes mêmes de Cour suprême, l’objet du Premier Amendement est bien « de préserver un marché des idées débridé [uninhibited] dans lequel la vérité triomphera finalement[47] ». Aux États-Unis, la vérité est moins une fin en soi qu’un chemin. Cette « quête de la vérité » (discovery of truth) trouve ses racines intellectuelles chez John Stuart Mill, mais se retrouve également chez certains Pères fondateurs, dont James Madison[48]. Cette conception s’est imposée au travers de la jurisprudence de la Cour suprême, notamment par le truchement du père du réalisme juridique américain, le Juge Oliver Wendell Holmes Jr. Ce dernier considérait, en effet, que « le bien ultime si désiré est [toujours] mieux atteint par le libre commerce des idées [free trade in ideas] et [que] la meilleure épreuve de vérité se trouve dans la capacité d’une pensée à se faire accepter dans la compétition du marché [competition of the market][49] ». De façon générale, ce « libre commerce des idées », à l’abri de toute interférence gouvernementale, postule qu’une libre concurrence idéologique aura pour effet que les idées inférieures ou insultantes feront nécessairement place à de meilleures idées. Pour filer la métaphore jusqu’au bout, la vérité apparaît comme la main invisible qui guide le libre commerce des idées[50]. Ramenée plus spécifiquement à la liberté de manifestation, cette conception d’un « libre commerce des idées » va progressivement conduire la Cour suprême à imposer un principe de stricte neutralité de la réglementation publique de cette liberté. Exclure juridiquement du débat public les expressions, indépendamment de leur forme, sur la base de leur seul contenu – hors incitation directe à la violence – est considéré à la fois comme contre-productif et dangereux : contre-productif, car l’interdiction est de nature à radicaliser les positions ; dangereux, car l’État libéral, qui s’oppose par définition à l’État engagé, voire totalitaire, se doit de s’interdire de cautionner telle doctrine ou telle cause.

Enfin, si la doctrine américaine est marquée par une interprétation « libérale » des libertés, elle est également caractérisée par une théorie du sujet marquée par une anthropologie optimiste[51] : elle croit en la rationalité de l’individu. En conséquence, elle lui accorde une certaine confiance et s’attache à protéger de façon extensive son autonomie. La liberté d’expression est alors clairement envisagée comme le moyen de promouvoir un jugement indépendant et une prise de décision réfléchie : la libre expression participe ainsi directement à « l’autonomie de l’individu[52] ». Dans cette optique, l’État ne doit pas être en mesure de contrôler les sources d’information et d’expression afin de maintenir ou d’infirmer certaines croyances ou opinions. La liberté d’expression, parlante ou agissante, devient le véhicule privilégié de réalisation de l’individu.

 

2. Le fondement juridique

En dépit des incertitudes qui l’entourent, le régime juridique de la liberté de manifestation dérive de cette « liberté-mère » qu’est la liberté d’expression. L’approche américaine de la liberté d’expression se désintéresse, jusqu’à un certain point, des formes de l’expression : écrite, orale, agissante ou symbolique. Pour autant, ces formes déterminent bel et bien les modalités et la portée de leur mise en œuvre. Pour penser et rendre compte de la réalité de la liberté d’expression, il convient donc de différencier l’essence de cette liberté et les canaux qu’elle utilise.

Dans son opinion précitée Cox v. Louisiana de 1965, la Cour suprême juge que « [l]es libertés d’expression et de rassemblement, bien que fondamentales dans notre société démocratique, ne signifient pas que n’importe qui souhaitant exprimer des opinions ou des croyances peut s’adresser à des gens dans tous les lieux publics et à tout moment ». Ainsi, personne, considère-t-elle, ne peut soutenir qu’« une manifestation [street meeting] en plein milieu de Times Square à l’heure de pointe est une forme de liberté d’expression ou de rassemblement ». Elle continue en ces termes : « Les autorités publiques ont le devoir et la responsabilité d’assurer la libre circulation dans les rues. Un groupe de manifestants ne peut arguer d’un quelconque droit de boucler une rue, ou l’entrée d’un immeuble public ou privé, et empêcher de passer ceux qui ne sont pas d’accord pour écouter leurs revendications [exhortations] », et conclut : « Nous rejetons catégoriquement l’argument du requérant selon lequel le Premier et le Quatorzième amendements offrent des droits identiques à ceux qui entendent communiquer des idées par des comportements tels que des manifestations [patrolling], des marches [marching] et des piquetages [picketing] sur les routes et autoroutes, et à ceux qui communiquent des idées par un pur discours [pure speech][53] ». Dans son opinion Giboney v. Empire Storage and Ice Co de 1949, la Cour suprême avait déjà souligné que l’expression comportementale ou agissante ne peut juridiquement s’aligner sur l’expression expressive :

Ces deux opinions emblématiques de la Cour suprême illustrent le fait que la liberté de manifestation, de par la singularité de son canal d’expression, commande quelques singularités par rapport au régime de droit commun de la liberté d’expression. Si cette dernière est en principe organisée sur la base d’un régime répressif, le régime juridique spécifique de la liberté de manifestation n’interdit pas la reconnaissance d’un régime d’autorisation.

La Cour suprême jugeait à la fin du XIXe siècle que « la législature a le droit le plus absolu et inconditionnel d’interdire au public de s’exprimer sur les voies ou les parcs publics[55] » Dans son opinion Hague v. CIO de 1939, la Cour suprême, qui devait se prononcer sur la constitutionnalité d’un arrêté (ordinance) d’un maire qui interdisait tout rassemblement sur la voie publique sans autorisation, jugea en ces termes :

Cette consécration d’une pleine liberté d’expression dans certains espaces publics n’a pas pour autant engendré un droit général à la liberté d’expression dans l’espace public.

Cette conception extensive – en matière de libertés publiques, l’absolu ne se décline pas plus en France qu’aux États-Unis – de la liberté d’expression qui écarte en principe toute forme de limitation de l’expression par l’État – mais n’empêche pas, voire encourage, les autocensures dont le « politiquement correct » constitue certainement l’expression paradigmatique[57] – implique que la protection juridique de la liberté de manifester soit importante, bien qu’elle reste pragmatiquement soumise à des limitations. Pour le dire différemment et plus précisément, l’exercice de la liberté de manifestation, entendue comme une déclinaison de la liberté d’expression, ne peut être en principe interdit sur le fondement de l’objet de la manifestation, critère subjectif sur lequel l’État ne saurait, sauf exception, se prononcer, mais il peut néanmoins être réglementé sur des fondements objectifs, comme l’illustre l’exercice pratique de cette liberté.

 

II. Approche pratique de la liberté de manifestation aux États-Unis

 

La liberté de manifestation apparaît comme un mode d’expression singulier du fait qu’elle se déploie dans l’espace public. Le droit américain parle d’ailleurs spécifiquement de « public forum », et en a fait une véritable doctrine qui détermine à la fois les droits des manifestants (A) et les marges de manœuvre des autorités publiques pour réglementer les manifestations (B).

 

A. Les droits des manifestants

Il s’agit ici de répondre à une question simple : si on entend manifester aux États-Unis, qu’est-ce qui s’y oppose ? Deux types de contraintes pèsent sur les manifestants qui dessinent en contre-jour le portrait de leurs droits : un premier type de contrainte est commun à toutes les manifestations et tient aux « The Secret Service denies targeting the President’s political opponents.et tilimitations de temps, de lieu et de forme » (1) ; un deuxième type de contrainte est spécifique à certaines manifestations et tient à l’obligation d’obtenir une autorisation (2).

 

1. Les « limitations de temps, de lieu et de forme »

La formule « considerations of time, place and manner », désormais classique en droit américain, est issue de l’opinion de la Cour suprême Cox v. State of New Hampshire[58] de 1941 qui porte précisément, nous l’avons vu, sur la liberté de manifestation. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de noter que si la liberté de manifestation est soumise au régime juridique de la liberté d’expression, un tel régime s’est aussi construit à l’appui de développements jurisprudentiels relatifs à la liberté de manifestation. Quoi qu’il en soit, dans cette affaire, une grosse soixantaine de témoins de Jéhovah avaient été condamnés par une Cour de Manchester (New Hampshire) pour avoir organisé une manifestation sauvage alors qu’une réglementation municipale imposait une autorisation spéciale pour tous « défilés ou processions » sur les voies publiques. La question était donc de savoir si cette réglementation violait le Premier amendement tel qu’imposé aux États fédérés par le Quatorzième amendement. L’affaire remonta devant la Cour suprême qui rendit une opinion unanime rédigée par le Chief Justice Charles E. Hughes. La Cour jugea de façon générale que « le pouvoir d’une municipalité d’imposer des règlements afin d’assurer la sécurité et la commodité du peuple dans l’utilisation des voies publiques n’a jamais été considéré comme incompatible avec les libertés civiles, mais, plutôt, comme l’un des moyens de sauvegarder l’ordre dont elles dépendent en fin de compte ». Elle continua plus spécifiquement en ces termes :

Il en ressort que la liberté de manifestation peut être limitée par ces trois différentes composantes : le temps, le lieu, la forme ou la manière. À l’occasion d’une autre affaire, la Cour suprême a résumé le sens de cette trilogie en ces termes : « La question cruciale est de savoir si la forme [manner] d’expression est fondamentalement compatible avec l’activité normale d’un lieu [place] particulier à un moment [time] donné[60] ». Ces trois limitations sont elles-mêmes dépendantes de la doctrine dite de l’« espace public » (public forum). C’est en 1972 que la Cour suprême a introduit le concept de « espace public » dans sa jurisprudence relative au Premier amendement. Depuis lors, il est devenu un principe fondamental de la doctrine du Premier amendement[61]. Ultérieurement, la Cour suprême a forgé une véritable doctrine de l’« espace public » en 1983 par l’opinion majoritaire Perry Educator’s Association v. Perry Local Educator’s Association[62]. On distingue, depuis lors, « l’espace public par tradition », « l’espace public par désignation » et « l’espace non public ». L’intensité de la protection juridictionnelle de la liberté de manifestation est directement indexée sur la nature de l’espace en question.

Le premier type d’espace est l’« espace public traditionnel », niveau le plus protégé, qui désigne les parcs, les trottoirs et les rues et plus généralement les lieux qui sont ouverts traditionnellement aux débats et aux discours publics, qui sont « de temps immémorial » utilisés « pour se rassembler, communiquer et discuter des affaires publiques[63] ». Dans ces espaces, le Premier amendement protège fortement ses occupants, et donc potentiellement des manifestants, dans la mesure où les restrictions, qui restent possibles, feront néanmoins l’objet d’un contrôle minutieux (contrôle du strict scrutiny), en tout cas plus fort que pour les autres espaces[64]. Plus précisément, les restrictions ne peuvent être justifiées que pour « une période, un lieu et un mode d’action », indépendamment du contenu de la protestation, et si une telle restriction se justifie pour une raison impérative ou au nom « des intérêts supérieurs de l’État[65] ». Cela signifie que dans ces espaces publics traditionnels, les pouvoirs publics ne peuvent se fonder sur le contenu de la manifestation pour l’interdire, ou même la restreindre, sauf à commettre un « délit d’opinion » (viewpoint discrimination), et que si certaines restrictions de temps, de lieu et de forme sont juridiquement envisageables, elles devront être strictement nécessaires[66].

Le deuxième type d’espace est l’« espace public à accès limité » ou « espace public par désignation » (designated public forums), qui renvoie à des espaces qui ne sont pas traditionnellement des espaces publics, mais qui sont néanmoins ouverts au public, à l’instar des théâtres municipaux, des salles de réunion dans les Universités ou encore les enceintes des Cours de justice. Après avoir ouvert un tel espace, les autorités publiques ne sont pas obligées de le laisser tel quel, mais tant qu’il est ouvert, la protection du Premier amendement est complète et s’aligne sur celle du premier type d’espace. Les pouvoirs publics peuvent en limiter l’accès à certaines personnes, ou encore à certaines manifestations. Par exemple, les pouvoirs publics peuvent restreindre l’accès à une salle de réunion dans une école à des orateurs ayant des activités en lien avec l’éducation, mais ils ne peuvent pas exclure des orateurs d’un groupe religieux simplement parce qu’ils entendaient exprimer des vues religieuses[67].

Le troisième et dernier type d’espace renvoie à l’« espace non public », c’est-à-dire à « un lieu qui n’est pas, par tradition ou par désignation, un espace pour la communication publique[68] ». Cette troisième catégorie comprend la propriété privée, mais aussi la propriété publique non affectée à l’expression des opinions, par tradition ou désignation, comme, par exemple, les prisons ou encore les aéroports. Quant à la propriété privée[69], interdite par principe à tout exercice de la liberté de manifester, sa délimitation avec l’espace public n’est pas toujours facile à assurer et il existe aux États-Unis de forts débats, notamment sur la possibilité de manifester à l’extérieur et surtout à l’intérieur des centres commerciaux.

Cette trilogie, découlant d’une doctrine fonctionnelle de l’espace, souligne les limitations effectives que peut connaître la liberté de manifester. Aussi importante que soit sa reconnaissance, elle doit également être limitée ; ce que Frankfurter dans son opinion individuelle à l’occasion de l’opinion majoritaire Dennis v. United States de 1951 justifia sobrement par ces termes : « Ce sont les paradoxes de la vie[70] ».

Donnons maintenant quelques exemples significatifs de ces limitations, en nous concentrant sur les limitations spatiales qui concernent directement l’exercice de la liberté de manifestation et forment d’ailleurs fort logiquement l’essentiel des problématiques[71]. On retiendra, en raison de leur importance, les cliniques qui pratiquent l’avortement, les immeubles gouvernementaux et les cimetières.

Aux États-Unis, les cliniques qui pratiquent l’avortement sont des cibles récurrentes de manifestations. Des manifestants « pro-vie » scandent régulièrement des slogans anti-avortement aux abords de ces cliniques en brandissant des images de fœtus avortés et peuvent aller jusqu’à commettre des actes de violence, plus ou moins extrêmes[72], contre les praticiens et les patientes. Cherchant très clairement à équilibrer le droit des patientes et des employés de ces cliniques d’accéder librement à ces établissements avec le droit des anti-avortements d’user de leur droit d’expression et donc de manifestation, dans son opinion majoritaire Madsen v. Women’s Health Center du 30 juin 1994[73] rendue sous la présidence Rehnquist, la Cour suprême valida l’établissement d’une « zone tampon » d’environ 36 pieds, autour de ces cliniques. Vingt ans plus tard, le 26 juin 2014, la Cour suprême, dans son opinion McCullen v. Coakley[74], rédigé par le Chief Justice Roberts, est revenue sur cette jurisprudence et a donné raison à des militants anti-IVG en jugeant inconstitutionnelle une loi de 2007 de l’État du Massachusetts qui leur interdisait de manifester, en deçà d’une zone tampon, autour des cliniques pratiquant l’avortement. La haute juridiction a jugé que « [p]ar ses propres termes, la loi restreint l’accès à la voie publique et aux trottoirs », c’est-à-dire à « des lieux qui sont traditionnellement ouverts au public pour des activités d’expression [speech activities] ». Affectant « l’espace public traditionnel », c’est-à-dire l’espace où la compétence des autorités publiques de réglementer toute forme d’expression est « très limitée[75] », la Cour a considéré que les principes directeurs du Premier amendement s’appliquent et surtout celui selon lequel « les pouvoirs publics n’ont aucun pouvoir pour restreindre une expression en raison de son message, de ses idées, de son sujet, ou de son contenu[76] ». La Cour a jugé que si les zones tampons servent clairement des intérêts légitimes comme « la sécurité publique, l’accès des patients aux soins, et l’usage dégagé [unobstructed use] par le public des trottoirs et des routes », elles sont également de nature « à imposer de sérieuses limites aux discours des manifestants ». Alors même que la zone tampon incriminée sert indubitablement un « intérêt public », la Cour juge que « la limitation n’est pas taillée de manière suffisamment stricte [not sufficiently narrowly tailored] ». Les militants favorables à l’avortement n’ont pas manqué de souligner que les juges de la Cour suprême, qui disposent de leur propre zone tampon, plus conséquente d’ailleurs, pour s’isoler des manifestants, retirent cette modeste protection à des employés et des patientes qui sont attaqués à proximité des cliniques pratiquant l’IVG. Ce paradoxe nous conduit à traiter des immeubles gouvernementaux, parmi lesquels se trouvent les Cours de justice.

Il n’y a pas de lois fédérales interdisant de manifester devant des immeubles gouvernementaux. Les parcs ou la zone qui entourent immédiatement de tels immeubles, qu’ils soient fédéraux, fédérés ou municipaux, sont traditionnellement des lieux ouverts aux manifestations[77]. Ainsi, par exemple, l’interdiction complète de s’assembler sur le parc du Capitole viole le Premier amendement[78]. La Cour suprême, quant à elle, bénéficie d’un traitement particulier[79], à l’instar des autres Cour de justice, en raison de l’idée selon laquelle la justice doit être rendue non sous la pression de la vox populi, mais sous la seule dictée du droit. Si la Cour suprême est considérée comme l’ultime gardien des droits constitutionnels, et notamment de la liberté d’expression et donc de manifestation, la garantie de la liberté de manifestation s’arrête symboliquement à ses pieds, et même en fait bien au-delà puisque la grande place en marbre devant le bâtiment est interdite à toute forme de manifestation. En effet, la Cour suprême s’est protégée, dans une sorte de règlement extérieur, en ces termes :

Le droit reste néanmoins plus ou moins incertain dans la mesure où une décision du 6 janvier 2016 de la Cour fédérale d’appel du district de Columbia (Washington) a cassé une décision d’une Cour de district qui considérait ces restrictions comme « pleinement inconstitutionnelles ».

Au-delà du cas symbolique de la Cour suprême, une nouvelle loi, dite HR 347, intitulée Federal Restricted Building and Grounds Improvement Act de 2011, connue également sous le nom de « Loi sur l’empiètement », a étendu la pénalisation de la liberté de manifestation. La loi dispose en effet que « quiconque entre ou demeure volontairement dans un bâtiment ou une zone sans autorisation légale avec pour intention de déranger la marche normale des activités du gouvernement ou des fonctions officielles, s’engage dans un type de conduite altérant l’ordre public dans ou à proximité de tels bâtiments ou zones restreintes ou empêche et dérange la conduite des affaires gouvernementales et des fonctions officielles » sera puni d’une amende ou « d’un emprisonnement de moins de 10 ans, ou des deux ». Cette loi ne crée aucun délit nouveau en tant que tel, se contentant d’amender une loi antérieure de 1971, modifiée en 2006 et codifiée dans le titre 18, section 1752 du Code des États-Unis, mais elle permet de restreindre sensiblement la liberté de manifestation en pénalisant le fait « d’entrer ou de rester » dans une zone désignée comme étant d’« accès restreint ». En ce sens, certaines zones, qui accueillent certaines personnes (par exemple le Président américain) ou certains évènements (par exemple le Super Bowl), sont interdites sous peine de sanctions pénales. Depuis les manifestations de Seattle de l’hiver 1999 contre l’Organisation Mondiale du Commerce, les autorités publiques cherchent de plus en plus à tenir les manifestants à bonne distance de leurs « cibles » (souvent des politiques), en créant des « zones de protestation » qui consistent à barricader les manifestants souvent loin du lieu où ils souhaitaient initialement manifester. Les juridictions américaines considèrent, pour l’instant, que le principe même de telles zones ne heurte pas l’interdit du Premier amendement.

Finissons par quelques mots sur le cas des cimetières. Dans son opinion Snyder v. Phelps de 2011, la Cour suprême a jugé qu’une manifestation homophobe à proximité des funérailles d’un militaire homosexuel tué en Irak pouvait se prévaloir de la protection de la liberté d’expression garantie par le Premier amendement. Par huit voix contre une, les juges de la Cour suprême ont donné raison à un groupuscule religieux radical ayant organisé une manifestation anti-gay en marge d’un enterrement militaire. En refusant de sanctionner les manifestations homophobes de l’Église Wesboro, un groupe ultraconservateur du Kansas, la Cour suprême a réaffirmé le caractère sacré du Premier amendement même dans un tel cas de figure (discours de haine tenu lors d’une manifestation) : « En tant que Nation, nous avons choisi une voie différente [que celle de l’interdiction], qui est de protéger la liberté d’expression, même quand elle peut blesser, sur les questions de société, pour faire en sorte que nous n’étouffions pas le débat public[81] ».

 

2. L’obligation d’obtenir une autorisation

Une des singularités principales de la réglementation relative à la liberté de manifestation par rapport à celle, générale, de la liberté d’expression tient à la régularité juridique du régime d’autorisation préalable. Si l’expression dans sa forme pure (orale ou écrite) interdit des restrictions fondées sur un régime d’autorisation préalable ou qui ont un effet dissuasif, « paralysant » disent les Américains (chilling effect), la singularité de l’expression agissante, comme nous l’avons appelée, conduit à reconnaître leur légalité. On doit bien noter qu’en droit américain, un régime d’autorisation préalable équivaut à un droit de censure préalable et qu’il est, en général, totalement prohibé, mais que la singularité de la liberté de manifestation conduit néanmoins à l’autoriser.

Ainsi, dans son opinion City of Lakewood v. Plain Dealer Publishing Co de 1988, la Cour n’a pas interdit le principe même des régimes d’autorisation préalable, mais l’a fortement restreint par des standards qui sont compris comme des « balises qui contiennent l’administration et qui permettent au juge de décider rapidement et facilement si, dans tel ou tel cas, l’administration a admis l’expression de points de vue qui lui sont favorables et exclut les autres[82] ». La Cour considère donc que le régime juridique répressif a posteriori qui permet de sanctionner les abus commis lors d’une manifestation constitue une réparation suffisante et adéquate en la matière, mais n’interdit pas, par principe, l’instauration de régime juridique d’autorisation préalable. Le droit américain, très pragmatique, opère des distinctions et notamment considère différemment les trottoirs et la rue. Ainsi, un New-yorkais qui souhaite organiser une manifestation sur les trottoirs publics n’a pas besoin d’une autorisation. Par contre, s’il entend manifester sur la voie publique ou organiser une manifestation de plus de 20 personnes dans un parc de New York, alors il devra obtenir une autorisation (permit) du Police Department ou du Parks Department s’il s’agit d’un parc.

Il y a d’ailleurs une spécificité de la législation pour ce qui relève des parcs, qui relève du service national des parcs (National Park Service)[83]. Il s’agit d’une agence fédérale américaine chargée de gérer les parcs nationaux, les monuments nationaux et diverses propriétés publiques historiques ou naturelles. Fondée en 1916 dans un but de conservation et de protection des sites naturels et historiques, cette agence a créé une police des parcs (United States Park Police) pour la surveillance des sites relevant de sa compétence, notamment à New York et à Washington. Dans le règlement du Service national des parcs, on trouve différentes restrictions. Certaines concernent le temps : « Le directeur régional peut restreindre les manifestations et les évènements spéciaux durant les jours de semaine (sauf pendant les vacances) entre 7h et 9h30 le matin et entre 16h et 18h30 l’après-midi, s’il apparaît raisonnablement nécessaire d’éviter toute interférence avec les heures de pointe de la circulation automobile ». En matière d’autorisation, le règlement du Service national des parcs impose de déposer une demande préalable à toute manifestation importante :

Un dernier point concerne le coût financier de l’autorisation. Les manifestants peuvent avoir à payer des droits pour pouvoir manifester, mais ce prix doit être raisonnable et sans lien avec le contenu de la manifestation[84]. Dans son opinion Forsyth County, Georgia v. The Nationalist Movement de 1992[85], la Cour suprême a rappelé les règles en la matière. En l’espèce, le comté de Forsyth en Géorgie avait déployé davantage de force de police qu’à l’ordinaire, parce que la manifestation en question portait sur une question de nature à susciter de vives réactions, et avait demandé que les organisateurs supportent le surcoût. La Cour suprême a jugé que cette réglementation était inconstitutionnelle parce qu’elle était fondée sur le contenu même de la manifestation et qu’elle donnait un pouvoir discrétionnaire à l’autorité publique.

Pour finir sur cet aspect pratique, notons que la connaissance du public relative à la liberté de manifestation est facilitée par des sortes de modes d’emploi précisant les droits et les obligations des manifestants, notamment ceux rédigés par l’American Civil Liberties Union, mais aussi par les documents remis par les autorités publiques aux manifestants potentiels, notamment lorsqu’ils viennent déposer une demande d’autorisation. Il faut noter que la pratique des manifestations fait apparaître, comme en France, une forte négociation entre les autorités publiques et les organisateurs des manifestations. Des réunions préparatoires permettent de trancher les questions relatives au moment, au lieu et à la forme prise par la manifestation[86]. Ce processus conduit les autorités à communiquer de façon plus ou moins importante avec les organisateurs de la manifestation. En d’autres termes, à regarder les grandes manifestations qui se tiennent à Washington, « plus la manifestation est importante, plus les réunions préparatoires qui rassemblent autorités et organisateurs sont nombreuses[87] ». Ces réunions, qui ont précisément pour objet de déterminer « le moment, le lieu et la forme » de la manifestation, soulignent le degré de discrétion dont bénéficient les autorités publiques dans l’exercice effectif de cette liberté. On peut considérer que la reconnaissance constitutionnelle de la liberté de manifestation n’a pas été sans effets pervers quant à l’effectivité de cette liberté. Cela tient d’abord au fait que « l’institutionnalisation de ce régime de protection [des droits des manifestants] s’est accompagnée pour les autorités d’une extension du pouvoir de poser des restrictions au choix du moment, du lieu et des formes de la manifestation[88] ». Cela tient également au fait que cette institutionnalisation peut paradoxalement engendrer le retour à la violence qu’elle est précisément censée éviter, en ce sens qu’une telle institutionnalisation peut apparaître comme trop intrusive et conduire les manifestants, par une sorte de contre-réflexe, à privilégier une logique d’opposition potentiellement violente. Ce constat nous conduit à conclure sur les droits des autorités publiques en la matière.

 

B. Les droits des autorités publiques

On a déjà vu que la liberté de manifestation pouvait faire l’objet d’une réglementation, mais que cette réglementation devait répondre à différentes exigences. Même les expressions, indépendamment de ses formes, qui bénéficient de la protection la plus forte restent sujettes à des « restrictions de temps, de lieu et de forme » qui doivent « être neutres, strictement adaptées afin de protéger un intérêt public [governmental] significatif et laisser largement ouvertes d’autres voies de communication[89] ». Ramené à la liberté de manifestation, une fois rappelé qu’une réglementation qui peut légalement restreindre la liberté de manifestation est une réglementation qui relève des pouvoirs constitutionnels de l’autorité qui l’édicte, trois conditions spécifiques forment le cadre juridique dont les autorités publiques ne peuvent s’affranchir pour la limiter : le recours à un intérêt public fondamental, la neutralité du contenu et la stricte nécessité de la limitation.

La première condition tient à ce que la réglementation doit poursuivre un « intérêt public substantiel ». La Cour parle indifféremment d’intérêt « substantiel », « impérieux », « dominant », « suprême », pour souligner que l’intérêt public qui justifie la réglementation doit présenter un caractère de nécessité et même d’absolue nécessité. C’est, par exemple, le cas lorsque l’autorité publique peut limiter la liberté de manifestation en cas de « danger manifeste et immédiat » (clear and present danger). Rappelons que l’opinion Schenck v. United States de 1919 a lancé l’histoire du Premier amendement et a dégagé l’expression de « danger manifeste et immédiat » comme une sorte de test de constitutionnalité des restrictions à la liberté d’expression. Un tel critère, forgé par le juge Oliver W. Holmes à l’occasion de cette opinion de la Cour suprême, témoigne de la conception particulièrement protectrice de la liberté d’expression, puisque seuls les discours et les supports d’expression, comme la manifestation, révélant un « danger manifeste et immédiat » sont susceptibles d’être restreints, et ce même si ces discours confinent au racisme et autres extrémismes. En d’autres termes, ce critère fonde l’interdiction des restrictions à la liberté d’expression, y compris sous la forme de la manifestation, sur le contenu de l’expression. Seules les conséquences de l’exercice de cette liberté importent et expliquent que l’amplitude de la liberté varie selon les circonstances. Holmes soulignait d’ailleurs dans l’opinion majoritaire que « [b]ien des choses pourrait être dites en temps de paix qui ne peuvent plus l’être en temps de guerre[90] ». L’autorité publique ne peut réglementer l’exercice de la liberté de manifestation sur le fondement d’un danger seulement potentiel ou hypothétique. S’imposent donc des impératifs liés à ce que nous appellerions en France l’« ordre public ». La notion de « trouble à l’ordre public » (breach of peace) n’est d’ailleurs pas inconnue aux États-Unis. Elle est même ancienne puisqu’elle vient de la Common law et faisait que tout acte ou parole qui trouble l’ordre public constituait un « délit » (misdemeanor). En d’autres termes, cette expression très largement appréhendée faisait qu’une manifestation même pacifique était de nature à constituer un délit. Puis, par une opinion Cantwell v. Connecticut de 1940, la Cour suprême a strictement circonscrit ce « trouble à l’ordre public » en ces termes :

Depuis cette affaire, de nombreuses opinions de la Cour suprême illustrent sa volonté de restreindre strictement cette notion « de trouble à l’ordre public ». Ainsi, dans l’affaire Cox v. Louisiana de 1965 déjà citée, la Cour suprême juge qu’on ne peut pas opposer cette notion à des participants engagés dans des manifestations pacifiques, même si elles peuvent potentiellement inciter à la violence : « Les autorités gouvernementales ont le devoir et la responsabilité de laisser les rues libres et ouvertes à la circulation. Un groupe de manifestants ne peut pas abuser de son droit pour interdire l’accès ou pénétrer dans un immeuble public ou privé, ou [même] interdire le passage à quiconque n’entend pas écouter leurs exhortations[92] ». Dans cette affaire, la Cour suprême juge que « les autorités de Baton Rouge ont interdit les manifestations et les rassemblements de rue [street meatings] de façon complètement discrétionnaires », et qu’il s’agit donc d’une « atteinte de liberté d’expression et de réunion des requérants protégées par le Premier amendement, et pour les États par le Quatorzième amendement ». De même, dans les années 1960, il était possible de manifester autour d’une mairie pour protester contre la ségrégation raciale, sans qu’une telle manifestation soit en elle-même constitutive d’un trouble à l’ordre public[93]. Il convient donc que le trouble soit caractérisé et non pas seulement potentiel. La simple évocation d’un « risque d’émeute », sans justification autre et particulière, sera systématiquement rejetée par la Cour suprême.

La deuxième condition tient au fait que la réglementation doit être neutre quant au contenu (content-neutral[94]), par opposition à une possible partialité (content-based). En d’autres termes, la réglementation de l’expression n’est licite que si elle est étrangère à toute volonté des autorités publiques de supprimer l’expression elle-même. Déclinée pour notre objet, on retrouve ici ce que nous avons esquissé précédemment : la réglementation de la manifestation ne peut se fonder que sur des critères objectifs comme des considérations de temps, de lieu ou de formes. Le règlement du Service national des parcs précise, par exemple, que la « délivrance de l’autorisation [permit] […] devra exclure […] toutes considérations ayant trait aux opinions » des manifestants. Il en découle que la Cour Suprême n’intervient essentiellement que sur l’organisation matérielle d’une manifestation et non sur son contenu[95]. En d’autres termes, la Cour suprême s’intéresse moins au contenu de la manifestation (les manifestants) qu’au contenu de la réglementation (les autorités) qui doit être « neutre ». Le principe de neutralité sur le contenu de l’expression agissante ne signifie pas qu’elle ne puisse pas être réglementée, mais que, quand la Constitution n’interdit pas qu’elle le soit, la réglementation doit être neutre. Comme le rappelle Élisabeth Zoller, c’est dans l’affaire Mosley de 1972 que « la “réglementation neutre” a été définie pour la première fois de façon précise[96] ». Dans cette affaire, la Cour juge qu’« il ne faut jamais interdire l’accès à l’espace public en ne se fondant que sur le contenu des propos et [que] les interdictions ne peuvent jamais être justifiées uniquement par référence au contenu des propos[97] ». La Cour écartera ainsi « les lois d’États qui réservaient [ou auraient pu réserver] le droit de manifester à certains types de manifestations seulement[98] ». 

Alors que les restrictions fondées sur le contenu sont généralement juridiquement illégales, il existe quelques exceptions bien précises : l’incitation à la violence imminente, les menaces concrètes, les discours diffamatoires et les obscénités figurent parmi les catégories d’expression particulière pouvant être limitées en vertu du Premier amendement. S’agissant de l’incitation à la violence imminente ramenée à la liberté de manifestation, les paroles ou les gestes de manifestants peuvent donc être limités s’ils visent à inciter ou à accomplir un acte illégal, s’ils sont susceptibles d’inciter à un tel acte et si l’acte est susceptible d’être produit de façon imminente. Il s’agit néanmoins d’une conception stricte qui trouve rarement à s’appliquer[99]. Pour s’en tenir à un exemple fameux, la manifestation de « White Supremacists » dans la ville de Skokie, dans l’Illinois, où un habitant sur six était un survivant de l’holocauste, a reçu la protection du Premier amendement[100].

La troisième et dernière condition tient au fait que la réglementation doit satisfaire à une exigence stricte de proportionnalité[101]. Cela signifie que la réglementation qui limite la liberté de manifestation doit être strictement adaptée ou proportionnée à la fin que poursuit l’autorité publique. Il faut dire qu’aux États-Unis, de façon générale, c’est essentiellement par l’intermédiaire d’un « intérêt public » (government interest) juridiquement protégé qu’un conflit est pensé entre différents droits fondamentaux. Cet intérêt public peut être celui, par exemple, d’« assurer la sécurité publique et l’ordre, la libre circulation dans les rues et sur les trottoirs, la protection des droits de propriété[102] ». Cet intérêt s’apprécie donc au prisme d’une « exigence d’adaptation ». En effet, même si une limitation est neutre et uniforme, elle doit encore « être strictement adaptée pour servir un intérêt public significatif[103] ». Cette idée de proportionnalité fait assurément écho à la jurisprudence française, tant d’ailleurs administrative que constitutionnelle.

Le régime de la liberté de manifestation aux États-Unis ne s’aligne donc pas exactement sur celui de la liberté d’expression, notamment en autorisant le mécanisme de l’autorisation préalable. La Cour suprême tolère ainsi des atteintes plus fortes à la liberté de manifestation qu’à la liberté d’expression stricto sensu. Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans les termes mêmes de l’opinion séminale de la Cour suprême Cox v. Louisiana de 1965, « [l]a protection constitutionnelle des libertés implique l’existence d’une société organisée maintenant l’ordre public, sans quoi la liberté elle-même serait perdue dans un excès d’anarchie[104] ». En d’autres termes, la manifestation, en tant que liberté, ne peut être qu’ordonnée et donc limitée ; seul le curseur de cette limitation juridique varie selon les cultures politiques des États.

 

David Mongoin

Professeur de droit public à l’Université Jean Moulin (Lyon 3) et directeur du Centre de droit constitutionnel.

 

 

Pour citer cet article :
David Mongoin «La liberté de manifestation aux États-Unis », Jus Politicum, n° 17 [https://www.juspoliticum.com/article/La-liberte-de-manifestation-aux-Etats-Unis-1130.html]